Le Paon se plaignant à Junon par Gustave Moreau

Le nom du mois de « juin » viendrait de celui de la déesse Junon, selon le poète latin Ovide. C’est l’occasion pour moi de vous montrer cette aquarelle réalisée par Gustave Moreau en 1881 : Le Paon se plaignant à Junon.

© RMN /René-Gabriel Ojéda

Elle illustre de manière onirique la fable de La Fontaine éponyme (voir texte plus bas). La déesse est une jeune femme séduisante, loin de l’image d’épouse acariâtre de Jupiter qu’on trouve souvent dans la mythologie romaine. D’ailleurs, on a l’aigle du roi des dieux qui surveille discrètement Junon depuis le coin haut gauche du tableau. C’est lui qui est jaloux, pas elle. Junon est donc séduisante mais sans être sombre ou violente, sans être la « femme fatale », chère habituellement au mouvement symboliste, particulièrement misogyne dans un siècle qui l’est déjà beaucoup.

La déesse, au front orné d’une étoile comme toute divinité céleste qui se respecte, trône nonchalamment au-dessus de la terre qui apparaît entre les nuages. Un sceptre à la main, elle semble écouter ce que lui dit le paon qui fait la roue à côté d’elle. Cet oiseau lui traditionnellement associé. Toujours selon Ovide, il lui doit son magnifique plumage. Junon aurait pris les cent yeux du géant Argus, mort à son service, pour les disposer sur les ailes de son animal favori, tels des joyaux.

Mais, nous dit La Fontaine, ce cadeau ne suffit pas au paon qui vient se plaindre de chanter moins bien que le rossignol (qu’on aperçoit à droite, sous la main de la déesse). Vous le devinez, cela va énerver Junon qui menacera son favori de lui reprendre son cadeau.

La reine des dieux peut être gentille, mais il ne faut quand même pas exagérer…

Pour les curieux, voici la fable de La Fontaine illustrée par Gustave Moreau :

Le Paon se plaignait à Junon.
” Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m’avez fait don
Déplaît à toute la nature ;
Au lieu qu’un Rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu’éclatants,
Est lui seul l’honneur du printemps. ”
Junon répondit en colère :
” Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d’envier la voix du Rossignol,
Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies ;
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d’un lapidaire ?
Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire ?
Tout animal n’a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage :
Le Faucon est léger, l’Aigle plein de courage ;
Le Corbeau sert pour le présage ;
La Corneille avertit des malheurs à venir ;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre, ou bien pour te punir
Je t’ôterai ton plumage.