Les Otages, de Jean-Paul Laurens

On croit souvent à tort qu’une image est toujours plus facile à comprendre et à interpréter qu’un texte. C’est ce qui a longtemps fait reléguer la Bande Dessinée, cet art de l’image par excellence, au rang de divertissement pour les enfants. Mais je ne vais pas vous parler de Bande Dessinée aujourd’hui mais d’un tableau à qui les critiques font raconter deux histoires différentes : Les Otages, peint Jean-Paul Laurens en 1896 et conservé au musée des Beaux-Arts de Lyon.

On y voit deux garçons en costumes moyenâgeux emprisonnés dans une salle ronde, l’air abattu. À part la porte fermée, on ne voit près d’eux qu’un trou rond et obscur, un puits sans margelle, vers lequel convergent les lignes du sol et le regard des prisonniers. On ne sait pas ce que vont devenir les deux enfants mais ça n’a, a priori, rien de réjouissant…

Les enfants de la Tour de Londres

À la fin du XIXe siècle, on interpréta ce tableau comme une représentation du jeune roi Édouard V d’Angleterre et de son frère, Richard de Shrewsbury, enfermés à la tour de Londres en 1483 par leur oncle, Richard de Gloucester, qui voulait usurper le pouvoir. On n’entendit plus jamais parler d’eux après leur enfermement et on pense qu’ils ont été simplement assassinés tous les deux.

L’idée de ce double meurtre d’enfants pour satisfaire une volonté de domination était extrêmement choquante en 1896 (et le reste de nos jours). Ici, on aurait l’impression que la porte du tableau va rester fermée et que les deux garçons vont finir par tomber dans le puits qui attire tous les regards.

Le puits et le pendule

Aujourd’hui, le spécialiste de l’Art contemporain, François de Vergnette, propose une autre interprétation de cette situation dramatique. Pour lui, le tableau serait, non une scène historique, mais une scène de genre inspirée par une nouvelle d’Edgar Allan Poe, Le Puits et le Pendule.

Dans ce récit, un prisonnier de l’Inquisition espagnole est enfermé dans une prison obscure avec un large puits en son centre dans lequel il manque de tomber en explorant sa cellule. Il s’évanouit en faisant cette découverte et se réveille ligoté dans la même pièce, mais avec un pendule, une grande lame, qui se balance au-dessus de lui en se rapprochant inexorablement. Heureusement, le prisonnier arrive à se détacher juste avant d’être découpé. Mais les murs de la pièce, rendus brûlants, commencent alors à se rapprocher de lui et à l’obliger à aller vers le puits. Il va tomber dedans quand un bras secourable le rattrape et le sauve in extremis. On espère qu’il en sera de même des enfants de Laurens, mais rien n’est moins sûr.

Le peintre, en tout cas, n’a jamais commenté son œuvre. Tout reste donc ouvert. Qui sait quelle nouvelle hypothèse on échafaudera dans 100 ans ?

Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils

Comme c’est la fête des pères ce week-end et que je suis d’humeur caustique aujourd’hui, je vous montre ce terrible Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils peint par Peter Paul Rubens entre 1636 et 1638 et conservé au Musée du Prado.

Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils par Peter Paul Rubens, vers 1636- 1638, Musée du Prado

C’est une représentation assez classique du mythe gréco-romain. Saturne, le Cronos des Grecs, était le roi des Titans. Il avait détrôné son père Uranus, le Ciel, qui régnait avant lui. Mais il savait qu’un jour, un de ses propres fils prendrait sa place.

Pour éviter cela, il ordonna à son épouse, Cybèle, de lui livrer tous ses enfants, dès leur naissance, pour qu’il les dévore. Elle obéit jusqu’au jour où elle accoucha du petit Jupiter. Elle réussit à le cacher et offrit à sa place à son horrible mari une pierre qu’il dévora aussitôt.

On connait la suite. Jupiter grandit. Il parvint effectivement à renverser son père et lui fit régurgiter ses frères et sœurs. Une nouvelle génération de dieux pouvait s’installer dans l’Olympe. Et son nouveau roi prit bien garde, lui, à n’engendrer aucun fils plus puissant ou plus malin que lui…

Et pour avoir une vision gréco-romaine plus sympathique de la paternité : Silène et Dionysos

Tanis, une cité égyptienne

Tanis n’est pas seulement le nom de l’héroïne que j’ai créée avec Stéphane Perger et Denis Bajram, c’est aussi et surtout le nom grec d’une très ancienne cité de l’est du delta du Nil.

Vous en avez tous déjà entendu parler : c’est là qu’Indiana Jones découvre l’arche d’alliance dans le premier volet de ses aventures. Mais la ville n’a pas été redécouverte par les Nazis, mais bien avant : dès le premier quart du XVIIIe siècle. Elle est d’ailleurs étudiée depuis la fameuse expédition d’Égypte de Bonaparte.

Grand Sphinx de Tanis, Musée du Louvre, © Shonagon.

Elle a été fondée au XIe siècle avant notre ère alors que le pays du Nil était divisé entre la Haute Égypte contrôlée par les prêtres d’Amon, le dieu souverain à tête de bélier, et la Basse Égypte des rois de la XXIe dynastie. Ce sont eux qui fondèrent Tanis. La cité resta très active jusqu’à l’arrivée de Romains au Ier siècle avant notre ère et ne fut abandonnée que plusieurs siècles plus tard, peut-être après un grand tremblement de terre.

Tombeau du roi Osorkon II, ©Jon Bodsworth.

Tanis fut copiée sur Thèbe, la capitale de la Haute Égypte et consacrée à la triade divine Amon, Mout, sa compagne, et Khonsou, le dieu lunaire (si vous lisez des comics, oui, c’est bien ce Khonsou-là). Leurs immenses aires sacrées se situaient au nord de la cité qui s’étendait sur plus de 200 ha.

Elle était aussi par une belle nécropole royale où fut découvert le trésor royal le plus important après celui de Toutânkhamon.

Malheureusement, les bâtiments de pierre furent détruits à la fin de l’Antiquité. Ils servirent de carrières et beaucoup finirent dans les fours à chaux des artisans locaux. Seuls restent aujourd’hui les éléments de pierre dure (granit, quartzite…) : obélisque, colosses, stèles… qui gisent en un amoncellement chaotique sur le site.

© O. Louis Mazzatenta

De l’inflation du nombre de pages des albums BD

Je suis passée récemment en librairie pour découvrir les nouveautés. J’ai commencé à regarder les albums, à feuilleter… Je me suis arrêtée sur l’un d’eux. J’avais un bon a priori sur son auteur, dont j’avais déjà lu quelques livres. J’étais plutôt attirée par le thème de son nouvel album ainsi que son dessin et le début de narration entrevue au feuilletage. Il aurait fallu que je l’achète pour savoir si mon attirance était justifiée (ou pas).

Le souci, c’est qu’en regardant de plus près, j’ai remarqué que l’album, de plus de 100 pages, coutait presque 30€. J’aurais pu l’acheter, j’ai le budget pour ça. Mais je l’ai reposé.

Pourquoi ? Parce que j’ai trouvé exagéré de payer une telle somme pour une BD qui me décevrait peut-être (ou peut-être pas). Je vais donc attendre d’avoir des retours critiques de personnes de confiance pour savoir si je me décide ou pas… en espérant que ces personnes de confiance ne vont pas le reposer comme moi.

Maintenant, je ne peux m’empêcher de me demander combien de lecteurs potentiels font comme moi et commencent à trouver les prix des BD excessifs pour tenter de nouvelles expériences, découvrir de nouveaux auteurs ou de nouveaux récits. Les études du CNL nous disent que le nombre de lecteurs baisse en continue. Mais combien de lecteurs perdons-nous, en ce moment-même, à jouer le jeu de l’album toujours plus gros, toujours plus cher ?

 

Les oies du Capitole

La belle déesse Junon dont je vous parlais hier avait son temple sur la colline du Capitole à Rome, à côté de celui de Jupiter. Il était célèbre pour abriter des oiseaux consacrés à la déesse, pas des paons, mais des oies. Moins jolies mais plus utiles, elles sont restées célèbres car la légende veut qu’elles aient empêché leur ville de tomber totalement aux mains des Gaulois en 390 avant notre ère.

Ceux-ci occupaient alors le nord de l’Italie actuelle et avaient bien l’intention de prendre le reste. Leur expédition fut couronnée par la victoire de l’Allia au cours de laquelle ils écrasèrent l’armée romaine en juillet 390. Quelques jours plus tard, ils mettaient le siège devant Rome. Beaucoup de citoyens fuirent la ville. Ceux qui voulurent résister se réfugièrent sur le Capitole. Leur situation était désespérée. Ils manquaient de tout, y compris de nourriture. Pourtant, ils ne mangèrent pas les oies sacrées de Junon.

Paul-Henri Motte, Les Oies du Capitole, 1889.

Incapables de lancer eux-mêmes une contre-attaque, ils attendaient des renforts extérieurs. Une nuit, un soldat du général en exil Marcus Furius Camillus parvint à franchir les lignes gauloises pour leur apporter un message réconfortant : son chef avait rassemblé une nouvelle armée et s’apprêtait à marcher sur Rome pour la délivrer. Mais, Cominius Pontius, c’était le nom du soldat, avait réussi à monter au Capitole en nageant dans le Tibre et en escaladant des rochers accessibles. Des sentinelles gauloises repérèrent les traces humides qu’il avait laissé derrière lui et les envahisseurs décidèrent de suivre le même chemin, la nuit suivante, pour prendre les défenseurs romains par surprise.

Les oies sauvent le Capitole romain des envahisseurs gaulois, de ‘Le Bon Sens Populaire’, c.1900 · Alexandre Grellet

C’est là que les oies interviennent. Réveillées par les Gaulois, elles se mirent à caqueter frénétiquement et avertirent les soldats attaqués de ce qui se passait. Le vétéran Marcus Manlius réagit tout de suite et, avec ses hommes, repoussa dans le vide les premiers Gaulois imprudents. Les autres préfèrent se retirer. Camillus et son armée arrivèrent peu de temps après et libérèrent entièrement Rome.

Les habitants n’oublièrent pas ce qu’ils devaient aux oies de Junon. Tous les ans une cérémonie était organisée en leur honneur. On portait l’une d’elles en procession dans la ville en sacrifiant des chiens sur son passage, chiens qui avaient manqué, eux, à leur devoir de vigilance et n’avaient pas prévenu leurs maîtres de la menace nocturne.

Le Paon se plaignant à Junon par Gustave Moreau

Le nom du mois de « juin » viendrait de celui de la déesse Junon, selon le poète latin Ovide. C’est l’occasion pour moi de vous montrer cette aquarelle réalisée par Gustave Moreau en 1881 : Le Paon se plaignant à Junon.

© RMN /René-Gabriel Ojéda

Elle illustre de manière onirique la fable de La Fontaine éponyme (voir texte plus bas). La déesse est une jeune femme séduisante, loin de l’image d’épouse acariâtre de Jupiter qu’on trouve souvent dans la mythologie romaine. D’ailleurs, on a l’aigle du roi des dieux qui surveille discrètement Junon depuis le coin haut gauche du tableau. C’est lui qui est jaloux, pas elle. Junon est donc séduisante mais sans être sombre ou violente, sans être la « femme fatale », chère habituellement au mouvement symboliste, particulièrement misogyne dans un siècle qui l’est déjà beaucoup.

La déesse, au front orné d’une étoile comme toute divinité céleste qui se respecte, trône nonchalamment au-dessus de la terre qui apparaît entre les nuages. Un sceptre à la main, elle semble écouter ce que lui dit le paon qui fait la roue à côté d’elle. Cet oiseau lui traditionnellement associé. Toujours selon Ovide, il lui doit son magnifique plumage. Junon aurait pris les cent yeux du géant Argus, mort à son service, pour les disposer sur les ailes de son animal favori, tels des joyaux.

Mais, nous dit La Fontaine, ce cadeau ne suffit pas au paon qui vient se plaindre de chanter moins bien que le rossignol (qu’on aperçoit à droite, sous la main de la déesse). Vous le devinez, cela va énerver Junon qui menacera son favori de lui reprendre son cadeau.

La reine des dieux peut être gentille, mais il ne faut quand même pas exagérer…

Pour les curieux, voici la fable de La Fontaine illustrée par Gustave Moreau :

Le Paon se plaignait à Junon.
” Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m’avez fait don
Déplaît à toute la nature ;
Au lieu qu’un Rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu’éclatants,
Est lui seul l’honneur du printemps. ”
Junon répondit en colère :
” Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d’envier la voix du Rossignol,
Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies ;
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d’un lapidaire ?
Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire ?
Tout animal n’a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage :
Le Faucon est léger, l’Aigle plein de courage ;
Le Corbeau sert pour le présage ;
La Corneille avertit des malheurs à venir ;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre, ou bien pour te punir
Je t’ôterai ton plumage.

L’Etna, mythes et légendes

 

L’Etna, le volcan sicilien, a connu une spectaculaire éruption ce début de semaine. Il a craché une énorme colonne de fumée et de cendres, heureusement sans danger. Cette montagne est le plus haut volcan actif d’Europe et l’un des plus actifs du monde.

L’Etna en éruption, le 2 juin 2025 à Catane, en Sicile (Italie). © Salvatore Allegra/Anadolu/Afp)

Déjà dans l’Antiquité, il impressionnait beaucoup ceux qui l’approchaient. Une légende raconte que le philosophe Empédocle se serait jeté dans la lave bouillonnante pour y être totalement consumé et disparaître ainsi de la surface de la terre. Il n’aurait laissé que ses sandales sur le bord du cratère pour que chacun sache ce qui lui était arrivé.

Pallas (Athéna) et Encelade, plat attique à figures rouges, vers 525 av. J.-C., musée du Louvre.

Ceux qui préféraient les mythes à la philosophie, racontaient plutôt que l’origine de l’Etna se trouvait dans la punition infligée par Athéna et au géant Encelade. Celui-ci aurait promis d’aider les dieux dans leur combat contre les Titans alors que Zeus cherchait à détrôner son père, Cronos. Mais Encelade prit la fuite pendant la bataille et Athéna l’emprisonna sous la Sicile. Les tremblements de terre, fréquents dans l’île, sont dus à ses mouvements et les coulées de lave à son haleine enflammée.

Zeus dardant son foudre sur Typhon, hydrie à figures noires, v. 550 av. J.-C., Collection des Antiquités de l’État bavarois.

Il ne resta pas longtemps seul : Typhon, le monstre géant aux ailes d’aigle et aux cent têtes de dragons, le rejoignit bientôt sous l’Etna. Zeus l’aurait précipité là car il aurait voulu s’emparer de l’Olympe, épouser Héra, la femme du roi des dieux, et faire des autres divinités ses esclaves après avoir rétabli le pouvoir des Titans de Cronos tout juste vaincus.

Peut-être ces monstres sont-ils toujours là et mûrissent-ils ensemble leur terrible vengeance. Je trouve stimulant en tout cas d’imaginer qu’ils essaient parfois de s’évader, comme en 1669. Cette année-là, eut lieu l’éruption la plus importante des temps historiques. En février, des séismes firent trembler le flanc sud de l’Etna et le 11 mars s’y ouvrit une large fissure longue de 12 km d’où jaillit la lave. Elle engloutit plusieurs villages et détruisit même une partie de la ville de Catane, sans faire de victime.

Les Très Riches Heures de juin

Nous sommes début juin et j’ai décidé de renouer avec le plaisir de vous montrer le folio correspondant à ce mois dans les Très Riches Heures du duc de Berry.

Un livre d’heures est un ouvrage permettant à son propriétaire de connaître les différentes prières chrétiennes quotidiennes. Il comprend aussi souvent un calendrier avec tous les rites et cérémonies annuels.

Jean de Berry (1340 – 1416) commanda les très riches illustrations du sien aux frères Paul, Jean et Herman de Limbourg vers 1410-1411. Inachevé à leur mort à tous, il ne fut terminé que vers 1485-1486.

 

R.M.N. / R.-G. Ojéda

Le folio correspondant au mois de juin représente les travaux des champs de la fin du printemps près de Paris. Deux femmes mettent le foin en meulons pour le faire sécher avant son ramassage tandis que des hommes fauchent l’herbe un peu plus loin. Leur champ se trouve au bord de la Seine. Sur la rive en face, on découvre le magnifique palais de l’île de la Cité où demeure l’administration royale de l’époque avec, tout à droite la Sainte-Chapelle.

Si certains d’entre vous s’intéressent à ce qui se passe dans le ciel de la miniature, j’en ai parlé ici : les Très Riches Heures de septembre

Et, pour retrouver le reste des pages de ce site concernant les Très Riches Heures :

– les autres mois : janvier, février, mars, avril, mai, juillet, août, septembre, octobre, novembre , décembre

– une fête chrétienne illustrée dans le livre : l’Ascension

– Un étonnant “homme zodiacal”

La Patience, une allégorie

Le tome 16 d’Alix senator est bouclé et doit être imprimé ces jours-ci mais je n’aurai l’album entre les mains sans doute qu’à la fin de l’été, peu de temps avant sa sortie le 27 août. Encore trois mois à attendre ! Être autrice demande toujours beaucoup de patience. En me disant cela hier, j’ai repensé à L’Allegoria della Pazienza peinte vers 1552 par Giorgio Vasari.

Vous la voyez ci-dessous à gauche. Dans un paysage glacé, une jeune femme grelotte de froid à côté d’une horloge à eau qui érode lentement une pierre. On imagine le temps que l’opération va prendre. La pierre est d’ailleurs marquée de l’inscription « diuturna tolerantia », « patience inébranlable ».

C’est une citation latine sortant sans doute du traité De Inventione de l’orateur stoïcien romain Cicéron pour qui la patience est une composante essentielle du courage. La jeune femme pourrait partir, rien ne la retient. Pourtant elle reste là, à attendre, malgré l’inconfort de sa situation. Patience vient d’ailleurs du latin « patientia » souffrance, endurance.

Dans une autre version de l’allégorie, celle conservée au palais Pitti (ci-dessus à droite) et qui a peut-être été peinte par le même Vasari en 1551, la Patience est enchaînée à la pierre et c’est sa chaîne que l’eau dissout très lentement. Ses mains ne sont pas entravées, elle pourrait peut-être se libérer des fers sans attendre. Pourtant, elle ne le fait pas. Elle choisit là encore d’attendre. La patience pour Vasari et ses modèles antiques est avant tout calme et maîtrise de soi, deux grandes qualités du sage.

(Pour mes amis amateurs de SF, en poussant l’idée stoïcienne de patience à son extrême, on arrive à l’épreuve du gom jabbar subie par Paul Atréide censée prouver son humanité.)

Stonehenge par William Turner

Je vous montrais hier un extrait d’une page du prochain Alix senator se déroulant à Stonehenge. Cela m’a donné envie de vous montrer cette aquarelle du peintre romantique William Turner, intitulée tout simplement Stonehenge. Peinte vers 1827-28, elle appartient à la série des Picturesque Views in England and Wales et est conservée au Salisbury Museum.

On y voit le monument avant que ses pierres soient toutes redressées comme aujourd’hui. Au-dessus, un éclair blanc tombe d’un ciel de feu et d’ambre vers le centre des trilithes (1) comme si un dieu en colère voulait y frapper la terre. Cette impression de déchainement de violence est renforcée par le troupeau de moutons du premier plan. La plupart des animaux sont allongés sur le sol, comme morts foudroyés.

Ces motifs renvoient directement à la réputation de monument païen et de lieu de sacrifice qu’avait Stonehenge dans la première moitié du XIXe siècle. L’idée de préhistoire n’existait pas encore et pour Turner et ses contemporains, les constructions mégalithiques avaient été élevées par les peuples celtes pour que leurs druides y conduisent leurs terribles cérémonies sanglantes.

En fait, Stonehenge a été élevé entre 3000 et 1100 avant notre ère, du néolithique à l’âge du bronze donc, par des populations très mal connues et pour un usage encore plus mal connu. Mais ceci est une autre histoire.

(1)Trilithe : structure composée de trois pierres ayant un caractère monumental