Alix senator 16 premium : “Les Romains et la mer”

C’est mardi, c’est scenarii… et pages historiques.
Parallèlement aux récits que je vous concocte, j’écris en ce moment le cahier premium qui va accompagner le tome 16 d’ Alix Senator, L’Atlantide : Les Romains et le mer, mythes et réalités. Vous pourrez retrouver l’édition premium en même temps que la classique fin août prochain.

En attendant, je vous montre cette belle mosaïque retrouvée à Sousses, dans l’est de la Tunisie actuelle. Elle date du milieu du IIe siècle de notre ère et représente le grand dieu Océan.

Seule sa tête est visible car son corps est constitué de l’immensité des eaux qui entourent les terres des hommes, eaux qui s’écoulent aussi de sa bouche. Sa barbe et ses cheveux sont hirsutes car Océan n’est pas un dieu civilisé: il fait plutôt partie de la Nature sauvage. D’ailleurs, de nombreuses pattes de homards sortent de sa tête, comme des cornes ornent les cranes de certains dieux terrestres. Il a gardé un côté animal indompté, comme le savent bien tous les marins qui osent, dans l’Antiquité, s’aventurer dans ses vagues souvent très dangereuses.

Alix senator 18 : début du scénario à Jérusalem

Le tome 18 d’Alix Senator ayant été validé par le Comité Martin, je vais pouvoir avancer le scénario de l’album et Thierry Démarez se mettre au story-board. Une nouvelle aventure commence. Pour fêter ça, je vous montre ce magnifique plan idéalisé de la ville de Jérusalem où vont débuter les futures aventures du sénateur.

Bon, il ne date pas de l’Antiquité, mais du Moyen-Âge… Il a été réalisé vers 1170 à La Haye et ornait un psautier, un recueil de psaumes, des poèmes religieux présents dans la Bible.

Vous voyez qu’on n’a pas cherché à rendre la géographie réelle de la ville mais qu’on l’a dessinée de manière symbolique : c’est un cercle parcouru par d’une croix où se trouvent rassemblés de grands monuments ornés d’une croix eux aussi, c’est-à-dire les principaux lieux liés à la vie du Christ. On cherche ainsi à éliminer toutes traces d’une identité autre que chrétienne (sauf exception comme le Temple de Salomon). Juifs et musulmans ont quasiment disparu de la cité.

Il faut dire qu’on est en pleine période des croisades : la ville a été conquise par les chevaliers lors de la première croisade en 1099 et va rester la capitale d’un royaume chrétien jusqu’en 1187 au moment de sa prise par le célèbre sultan Saladin.

Narration : une page d’Alinoë, le tome 8 de Thorgal

Christophe Bec termine ces jours-ci notre Thorgal Saga. Cela m’a donné envie de refeuilleter une énième fois les albums de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski.

Je suis donc retombée sur cette page 40 d’Alinoë, le tome 8 de la série. Dans cet album, Aaricia et Jolan, restés seuls sur leur île (oui, c’est un album quasiment sans Thorgal !), affrontent un étrange garçon aux cheveux verts, Alinoë. Je ne vous spoilerai pas le fin mot de l’histoire mais j’espère que ce post vous donnera envie de la lire.

Voici donc la page 40. C’est le début de l’affrontement final entre Aaricia et Alinoë et, visiblement, c’est mal parti pour la mère de Jolan. Comme dans toutes les bonnes histoires d’horreur des années 80 (d’horreur tout public ici ), il faut que les héros passent par une phase désespérée avant de remporter la victoire finale sur les monstres qui les attaquent. Mais, ici, les auteurs ne se sont pas contentés de raconter leur histoire en mettant bout à bout leurs cases : ils ont aussi donné une dimension esthétique à leur page, dimension qui vient renforcer la puissance de ce qu’ils racontent et des émotions qu’ils veulent faire partager.

La page est divisée en 3 strips et 5 cases, symétrisés autour d’une diagonale allant du coin en haut à droite au coin en bas à gauche. La case 5 est l’écho de la 1 et la 4 de la 2. Autour de cette diagonale, on retrouve 3 fois Aaricia dans une position de plus en plus difficile. Parallèlement, les plans serrés alternent avec les plans larges. Tout cela participe à montrer le côté sans issue de la situation. Non seulement le danger se rapproche d’Aaricia, mais, en plus, elle n’a pas d’endroit où fuir. Elle est totalement encerclée. Elle est prisonnière de la page comme d’Alinoë.

À ce titre, la dernière case avec Jolan est une rupture avec le reste de la planche. Pourtant, les auteurs ont réussi à en faire un subtil rappel : Jolan est encerclé par les eaux comme sa mère l’est par ses ennemis. Mais l’effet de rupture reste dominant et il est, lui aussi, significatif : c’est de Jolan que viendra le salut d’Aaricia, c’est lui qui lui permettra finalement d’échapper à l’emprise d’Alinoë et de se sauver.

Narration : une page de Kogaratsu

Hier, l’envahissement de mon fil FB par des photos de Marc Michetz m’a appris sa mort. Je ne le connaissais pas personnellement mais j’avais lu, il y a quelques années, et beaucoup apprécié la série Kogaratsu qu’il avait réalisée avec Bosse au scénario.

Elle avait commencé en 1983, bien avant la grande mode du manga, 20 ans même avant la traduction du Lone wolf and Cub de Kazuo Koike et Goseki Kojima en français. Comme Ogami Itto, le loup solitaire, Nakamura Kogaratsu est un samouraï qui perd son maître et erre en rônin sur les routes du Japon du XVIIe siècle.

Je vous montre ici une page de l’histoire courte Le Pont de nulle part dessinée en 1988 et publiée en album 3 ans plus tard. Contrairement à la page de d’Astérix que je vous ai présentée il y a quelques temps où il n’y avait que des bulles et pas dessin (voir ici ), ici, on a une page illustrée mais complètement muette. La narration BD peut tout à fait se passer de cartouche et de dialogues pour transmettre un message.

La page se divise en 2 partie égales. La première est une seule grande case qui nous décrit la situation de départ : Kogaratsu, de face à l’arrière-plan, découvre un combattant qui tourne le dos au lecteur et semble bizarrement attendre devant un pont détruit, qui ne mène nulle part. Un homme très mystérieux donc. Michetz a dessiné ces deux samouraïs au milieu d’un site très riche et très évocateur du Japon où la ruine le dispute en élégance à la nature qui l’entoure (rochers, arbres, ciel).

Ce décor posé, il n’y a plus besoin d’y revenir ensuite. Michetz peut se concentrer sur ses personnages. La deuxième partie de la page se concentre sur leurs regards. Ils se jaugent, sans un mot, avant de s’affronter. Mais, si au centre on a deux petites cases avec les yeux de chacun des adversaires, le reste des cases qui les entourent est consacrée à ce que regarde Kogaratsu : le visage fermé de son futur opposant, ses armes et finalement, son étendard. Celui-ci pourrait briser le silence de la page mais l’inscription qu’il porte est en japonais, c’est-à-dire que lecteur ne la comprendra sans doute pas. Elle ne lui dira rien et restera un accessoire décoratif. Il faudra attendre la page suivante pour apprendre qu’elle est une invitation à combattre son propriétaire.

Cette deuxième partie aurait pu être construite sur de parfaits effets de symétrie, mais cela l’aurait sans doute rendue très figée. Au lieu de cela, Michetz a mis en écho les cases avec le sabre et l’étendard avec deux petites cases au lieu d’une seule. Il a également décalé les yeux des deux hommes vers la gauche et les a placés légèrement par-dessus les autres cases. C’est cela qui donne de la vie à l’ensemble et rend plus intense le duel de regard.

Et ne pensez pas qu’on soit ici dans un effet cinématographique : c’est purement de la Bande Dessinée.

Tintin avant Tintin

En 1898, paraissait le premier album des aventures de Tintin ou plutôt de Tintin-Lutin.
Il s’agissait d’un recueil d’histoires courtes pour enfants créées par Benjamin Rabier et Fred Isly. Elles racontaient les bêtises et les tours joués à son entourage par un jeune garçon surnommé Tintin-Lutin.
Pourquoi ? L’introduction du livre nous répond :
“Ça ! c’est Tintin, oui, c’est Tintin-Lutin,
De son vrai nom il s’appelle Martin,
Mais sa maman lui donna ce surnom :
Car c’était un véritable démon,
Un diablotin remuant et peu sage ;
Du reste, ça se lit sur son visage.”
Bref, un caractère à l’opposé de celui du héros d’Hergé qui n’a jamais caché son admiration pour Benjamin Rabier ni l’influence qu’il eut sur lui.

Comment naissent les idées ?

On m’a souvent posé cette question et j’ai toujours eu beaucoup de mal à répondre de manière synthétique. Heureusement, maintenant je pourrai citer l’excellente série Mad Men que je regarde à nouveau en ce moment.

On est dans les années 60, chez Sterling Cooper, une agence de publicité new-yorkaise. Peggy, une jeune secrétaire, parvient à se faire remarquer et à devenir rédactrice publicitaire, chose quasiment impossible vu le sexisme de l’époque bien mis en avant dans la série. A l’annonce de sa promotion, elle a un moment de flottement et semble perdre sa confiance en elle.

Son chef, le directeur créatif Donald Draper, lui donne alors ce conseil qu’on pourrait donner aussi à tout scénariste/écrivain commençant un projet sur un nouveau sujet : “Immergez-vous dedans, et puis oubliez-le et pouf ! L’idée surgira”.

Je cite de mémoire, mais j’ai souvent fait l’expérience de me plonger dans un sujet, de tourner en rond pendant des heures autour de ses thématiques, de ne rien trouver et de décider, déçue et énervée, de passer à autre chose… Et c’est quelques heures plus tard, pendant que je réaligne mes Playmobils sur leur étagère ou bien que je me brosse les dents, que j’ai enfin une idée, voire un vrai début de récit.

Ouf… Enfin, après il faut écrire une vraie intrigue, mais c’est une autre histoire.

Narration : Vagabond des limbes et mise en abyme

Le scénariste Christian Godard nous a quittés la semaine dernière. Parmi toutes ses nombreuses séries, j’ai toujours eu un faible pour Le Vagabond des limbes qui commence à paraître en 1975.

Dans ce long récit de science-fiction pour le moins déjanté, Axle Munshine parcourt l’univers en quête du bonheur, accompagné de son « petit clown » préféré, Musky, l’ado éternel à la recherche d’un adulte qui lui donnerait envie de grandir.

Les idées narratives et visuelles sont très nombreuses dans la série et c’est dur de ne vous montrer qu’une seule page. Dans celle qui se trouve ci-dessous, la planche 28 du tome 1, Axle découvre ce qui le fascine chez une jeune femme vue en rêve : elle lit une bande dessinée… celle même que le lecteur tient en main ! Rejoindre la belle Chimeer et son album devient alors, bien sûr, l’obsession d’Axle.

Ici la mise en abyme n’est pas qu’une figure narrative amusante : elle participe au « fond » du récit, à son histoire, autant qu’à sa « forme ». Elle pose même la bande dessinée en moteur de l’aventure, en objet-art méritant qu’on passe sa vie à le chercher, comme on le ferait avec un être aimé. Peut-être même est-il moins chimérique que l’amour qui sait ? Je vous laisse répondre (vous avez 4h)

Narration : une page d’Astérix sans dessin

L’immense, l’incomparable René Goscinny est mort le 5 novembre 1977 à Paris.

C’est l’occasion de vous (re)montrer la première page de La grande Traversée, le tome 22 d’ Asterix .
Des cases entièrement blanches (hors les bulles) pour montrer des Vikings perdus dans le brouillard des mers glacées, quelle grande idée narrative !

La Fiancée de Bélus

Voici La Fiancée de Bélus, un tableau peint par Henri Paul Motte en 1885, conservé au Musée d’Orsay.

On y voit une jeune fille nue, assise sur les genoux d’une inquiétante statue géante au cœur d’un sanctuaire obscur. Le visage de la divinité assise évoque celui des taureaux ailés de Khorsabad mais elle est censée être un dieu babylonien : Bel, Belus en latin, et, souvent, Baal pour nous.

En fait, « Baal » veut simplement dire « seigneur » et se retrouvait dans le nom de nombreux dieux de Mésopotamie : Baal Moloch, par exemple. Vous savez, le terrible dieu dévoreur d’enfants de la Salammbô de Gustave Flaubert qu’on rencontre aussi dans les pages du Spectre de Carthage ou du Tombeau étrusque de Jacques Martin. Ceux qui regardaient La Fiancée à la fin du XIXe siècle ne pouvaient manquer de penser en frémissant à ce terrible rituel et en imaginant que la jeune fille allait connaître, elle aussi, un sort funeste. Allait-elle mourir dévorée par les lions ?

Pourtant, les sacrifices d’enfants à Moloch n’ont peut-être jamais existé (en tout cas, on n’en a jamais trouvé de trace certaine jusqu’à maintenant et le débat reste vif). Le rituel qui a inspiré Henri Paul Motte est lui une pure invention : tous les soirs, on offrait à Bel une reine de beauté qui passait la nuit sur ses genoux. Le peintre pensait s’inspirer de l’historien grec Hérodote mais sa source était en fait une citation apocryphe.

On le voit, la Mésopotamie et les divinités orientales, mal connues au XIXe siècle, étaient alors de grands objets de fantasmes basés sur une image négative de l’Orient censé être moins civilisé que l’Occident, plus cruel et d’une sensualité plus débridée.