La papesse Jeanne

Je ne sais pas pourquoi mais nous avons beaucoup de parlé de « sidération » et d’ « effet de sidération » aujourd’hui à la maison. Alors, ce soir, pendant que je m’adonnais aux joies de l’intertextualité sur internet, je me suis soudainement rappelée une scène réputée avoir « sidéré » le Moyen-Âge.

La voici :

Extrait du Livre des femmes nobles et renommées, traduction anonyme en français du De Claris mulieribus de Giovanni Boccaccio, réalisée en 1403 pour le duc Jean de Berry et conservée à la Bibliothèque Nationale de France.

Le pape met au monde un enfant… Ou plutôt la papesse Jeanne met au monde un enfant.

Selon la légende, Jeanne, une jeune fille née à Mayence au IXe siècle, se serait déguisée en homme et aurait pris le nom de Johannes Anglicus (Jean l’Anglais) pour aller étudier en Angleterre puis à Athènes, patrie de la philosophie. Elle serait ensuite allée à Rome où elle aurait fini par entrer à la Curie, l’administration qui entoure le souverain pontife. Devenue cardinal, elle aurait été élue pape par acclamation populaire, les Romains admirant sa piété et son grand savoir. Hélas, quelques années plus tard, elle aurait accouché en public pendant la procession de la Fête-Dieu. Le peuple, passé sa première sidération, aurait été outré d’avoir été trompé et l’aurait alors lapidée (à moins qu’elle ne soit morte en couches ou simplement déposée comme inapte à assurer davantage ses fonctions pontificales).

Bien sûr, tout cela est faux et Jeanne n’a jamais existé : la liste des papes est bien connue et la légende elle-même comporte de nombreux anachronismes. Il n’y a pas d’université en Angleterre au IXe siècle par exemple. Mais, le personnage, apparu semble-t-il au XIIIe siècle, connut une grande prospérité littéraire, d’abord chez les divers ennemis de la papauté (une institution qui a pu commettre une telle erreur et mettre une femme à sa tête est forcément corrompue et indigne de diriger les Chrétiens, n’est-ce pas 🙂 ), puis chez de nombreux auteurs séduits par le caractère à la fois romanesque et tragique de la vie de la papesse.

L’échiquier de Charlemagne

L’échiquier de Charlemagne est une merveille de l’art médiéval. Ça fait un moment que j’avais envie de vous le montrer et de lui consacrer un peu plus qu’un petit texte. Ça tombe bien, je m’essaye de plus en plus à la vidéo.

J’espère que ce petit sujet vous plaira. N’hésitez pas à m’encourager à en faire d’autres en partageant ce statut. Et je lirai bien sûr avec plaisir vos commentaires 🙂

Dragon étouffant un éléphant

Au Moyen-Âge, les savants pensaient que le dragon – ce serpent géant avec des pattes et des ailes – était le pire ennemi de l’éléphant. C’est ce que nous montre l’enluminure ci-dessous réalisée en Angleterre avant 1187 et conservée à la Morgan Library and Museum (New York).

C’est en fait une très vieille idée. Déjà dans le livre VIII de son Histoire naturelle, le Romain Pline l’Ancien nous décrit les combats épiques des deux animaux qui vivent, comme chacun sait, en Inde et en Éthiopie :

« Le dragon a de la peine à s’élever à la hauteur de l’éléphant; en conséquence, […] il se jette sur lui du haut d’un arbre : l’éléphant sait qu’il n’est pas assez fort pour lutter contre les nœuds qui l’étreignent; aussi cherche-il à écraser son ennemi contre les arbres […] : le dragon prévoit le danger, et tout d’abord il lui enlace les jambes avec sa queue; l’éléphant défait les nœuds avec sa trompe; le dragon enfonce sa tête dans les narines de l’éléphant, et à la fois lui ferme la respiration et le blesse dans les parties les plus délicates.
Quand ils se rencontrent à l’improviste, le serpent se dresse et attaque son adversaire, principalement aux yeux; De là vient qu’on trouve souvent des éléphants aveugles, consumés par la faim et le chagrin. […]
On rapporte encore autrement ce combat : l’éléphant, dit-on, a le sang très froid, aussi est-ce surtout pendant les chaleurs que les serpents le convoitent; en conséquence, cachés dans les rivières, ils guettent l’éléphant qui vient boire; ils s’enlacent autour de sa trompe et le mordent à l’oreille, parce que c’est le seul endroit qu’il ne puisse défendre avec sa trompe; ils boivent tout son sang, tant ils sont énormes. L’éléphant, ainsi épuisé et mis à sec, tombe; le dragon enivré est écrasé, et meurt. »
(Traduction Ph. Remacle)

Les images de la semaine

Toutes les semaines, je poste sur les réseaux sociaux (Instagram et Facebook) des images qui me plaisent beaucoup sans mériter un vrai article sur le site. Alors je les rassemble pour une publication du week-end.

Voici celles de cette mi-avril :

– On dirait une île pour super-vilain, non ?

Vous êtes :
– un savant injustement controversé en quête d’un petit paradis où installer son laboratoire et les sympathiques créatures issues de ses expériences ?
Ou
– un dinosaure sur le retour en quête d’une contrée accueillante sans gorille géant ni aventurier sans scrupule ?
Ou encore
– le n°1 d’une organisation internationale clandestine cherchant juste à améliorer l’humanité en la débarrassant de ses éléments improductifs en quête d’un repaire où James Bond ne vous découvrira jamais ?
J’ai ce qu’il vous faut : Aoga-shima, une île volcanique japonaise, aussi magnifique qu’isolée dans l’archipel d’Izu.

Source photographique : whenonearth.net

– Femme sauvage :

Parmi les créatures étranges mystérieuses que rencontrent ceux qui voyagent au loin, il n’y a pas que les licornes, il y a aussi les… femmes sauvages et poilues.
Ci-dessous :
Jeune femme sauvage en compagnie d’une licorne.
Gravure pour une carte à jouer de Maître E. S. (nom de convention d’un graveur allemand anonyme connu uniquement par ses œuvres), vers 1460-1467, Staatliche Graphische Sammlung, Munich.

– Eve et Adam vus par l’Islam moghol

Ève et Adam n’appartiennent pas seulement aux traditions juives et chrétiennes. Ils sont aussi présents dans le Coran et donc représentés par les artistes musulmans et orientaux : icipeinture représentant Adam et Ève, réalisée par Manafi al-Hayawan, vers 1294-1299 à Maragh, en Iran moghol.

 

 

 

Alphabet humain médiéval

Traditionnellement, un livre d’heures médiéval est destiné à accompagner les prières de son propriétaire. Cependant, certains, peut-être moins pieux d’autres, ont voulu en faire des objets ludiques et plus propres à les amuser qu’à soutenir leur foi.

C’est le cas de Charles d’Angoulême – le père du roi François Ier. Son livre d’heures est rempli de scènes sans rapport avec la religion. Et quand bien même il en est question, le jeu n’est jamais bien loin.

Ainsi ce feuillet qui reprend le début d’une prière catholique à la Vierge « Ave Maria gracia ple[na] », « je vous salue Marie pleine de grâce ». C’est, vous le voyez, un alphabet humain dont on devait passer plus de temps à regarder les détails qu’à se concentrer sur leur sens global.

Le livre, réalisé vers 1475-1500, est actuellement conservé à la Bibliothèque Nationale de France.

Les images de la semaine

Je n’ai rien posté sur ce site cette semaine. J’ai eu le Covid à Angoulême et je m’en remets seulement. Mais j’ai fait tout de même quelques posts Facebook/Instagram.

Je vous en montre des résumés ci-dessous mais n’oubliez pas que vous pouvez me rejoindre directement sur mes pages sur les réseaux : tous mes posts sont lisibles par tous.

– Mâchoire de baleine photographiée par Eugène Trutat (1840-1910) et conservée au museum de Toulouse.

– Armure personnelle datant de la Première Guerre mondiale, avec capuchon en acier, gilet en plaques d’acier, gantelet-poignard en acier et paire de lunettes pare-éclats (avec de très minces fentes pour la vue).
Photo conservée par l’Imperial War Museum, Royaume-Uni.

– Minamoto no Raiko combattant un tsuchigumo, un esprit ayant pris la forme d’une araignée géante.

Détail d’un emaki, un rouleau japonais peint, du XVIe ou XVIIe siècle copiant une œuvre plus ancienne à l’auteur inconnu.

De la terre plate

Cette magnifique carte de « La terre carrée et stationnaire » dessinée par le prof. Orlando Ferguson en 1893, m’a donné envie de vous parler du mythe de la terre plate ce soir.

On croit souvent qu’il était très répandu chez les savants du Moyen-Âge. Mais, en réalité, pratiquement tous les érudits de l’époque voyaient la terre comme une sphère, dans la lignée des scientifiques grecs antiques dont le savoir en la matière avait été conservé.
Cette idée d’un « platisme » médiéval est apparue au XVIIe siècle, mais elle a connu son plus grand développement au XIXe siècle dans le contexte des polémiques entourant la toute nouvelle théorie de l’évolution et l’essor général du rationalisme scientifique. Celui-ci se conjuguait alors souvent avec l’anticléricalisme. On faisait alors de l’Église le prototype de la force obscurantiste et du Moyen-Âge, la période pendant laquelle elle eut le plus d’influence sur la société occidentale, le temps de toutes les erreurs et des croyances les plus absurdes.
De manière paradoxale, c’est justement au XIXe siècle que naquit la version moderne de la théorie de la terre plate. Samuel Rowbotham, un des précurseurs de la Flat Earth Society actuelle, développa entre 1849 et 1881 la théorie selon laquelle la terre était plate, centrée sur le pôle nord et ceinte d’un mur de glace. Les astres étaient suspendus au-dessus d’elle, à seulement quelques milliers de kilomètres.
Ce sont ces idées qui sont reprises dans la carte du professeur Ferguson de 1893. Il les relie à des citations bibliques. Platisme et créationnisme sont alors déjà liés. Ils le sont encore souvent aujourd’hui.
Bref, les savants chrétiens du Moyen-Âge seraient bien surpris.

 

Noix de prière gothique

Aujourd’hui, je reviens à l’art médiéval pour vous montrer une noix de prière sculptée entre 1500 et 1535 en Flandre.
Auteur inconnu. Conservée au Louvre.

Les noix de prière étaient des sculptures miniatures. Leur taille variait entre 2 et 5 cm de diamètre. On pouvait les suspendre à un collier comme des bijoux et surtout les tenir dans sa main quand on faisait une prière à la manière d’un grain de chapelet.
Elle s’ouvraient en deux et contenaient des sculptures représentant des scènes religieuses bien connues des fidèles.

© 2015 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Ici, l’extérieur de la noix est recouvert de motifs gothiques flamboyants et d’une citation de l’Ancien Testament en latin.


L’intérieur de la noix contient plusieurs scènes entourées de citations liées à la célébration de la Toussaint :
– en bas, une représentation du Jugement Dernier.
– en haut, la Jérusalem céleste avec tous les anges et les saints entourant le Christ en gloire.

Cupidon se plaignant à Vénus

© Web Gallery of Art

Aaah… l’improbable chapeau en plumes d’autruche de Vénus ! Je crois qu’il suffirait à me faire aimer ce tableau conservé à la National Gallery de Londres.

Il s’agit de Cupidon se plaignant à Vénus de Lucas Cranach l’Ancien, enfin la première version de ce tableau, peinte vers 1526-27. L’auteur en fera en tout une vingtaine, preuve que c’est sans doute sa composition la plus aimée à son époque.

On y voit donc Vénus et Cupidon, les dieux romains de l’Amour. Le garçonnet tient un rayon de miel à la main et des abeilles le harcèlent pour le punir de son forfait. On y a souvent vu une allégorie de l’amour. C’est bon, mais ça pique aussi parfois.

Debout à côté de son fils, Vénus n’a pas l’air de compatir beaucoup. Telle une nouvelle Ève, elle minaude en s’accrochant à la branche d’un pommier. D’ailleurs, un serpent est gravé sur le cailloux sous son pied levé. Il rappelle le serpent de la Genèse mais aussi Lucas Cranach lui-même car il s’agit d’un serpent ailé avec un anneau dans la bouche, le symbole héraldique du peintre. C’est sa signature en quelque sorte.

Coatlicue

Pour changer des héros grecs et autres saintes médiévales que je vous montre le plus souvent, voici Coatlicue, la déesse de la Terre et de la fertilité aztèque ou plutôt un monolithe de 2,5 mètres (!) qui la représente.

© Luidger

Il est totalement symétrique : la tête de Coatlicue est faite de deux serpents affrontés. D’autres serpents lui font une jupe grouillante de vie. Elle porte au-dessus un collier de mains, de cœurs et de crânes humains. Vous l’avez compris: c’est autant une divinité de la mort que de la vie.

Découvert en 1790 sous la Plaza Mayor de Mexico, le monolithe fut exposé à l’université de la Nouvelle-Espagne. Mais les frères dominicains qui administraient l’endroit se rendirent vite compte que les descendants locaux des Aztèques lui portaient des colliers de fleurs et continuaient de l’adorer malgré leur conversion au catholicisme. Les religieux enterrèrent donc à nouveau la grande sculpture. À part une brève exhumation en 1803, elle dut attendre 1821 et l’indépendance du Mexique pour revoir la lumière du jour.
Elle est aujourd’hui exposée au musée national d’anthropologie de Mexico.