Les très riches Heures de mai

Ce mois-ci encore vous n’échapperez pas aux Très Riches heures du duc de Berry.
La miniature correspondant au mois de mai représente la cavalcade de riches jeunes gens en forêt. Traditionnellement, au début du mois, on allait y chercher des branches et des feuillages pour faire les couronnes porte-bonheur que l’on voit déjà portées par plusieurs personnages. On s’habillaient aussi parfois de vert pour l’occasion.

La jeune femme au centre avec la grande coiffe blanche a souvent été identifiée à Marie de Berry, fille du duc dont les fiançailles sont représentées sur la miniature du mois d’avril. On aurait alors une scène de son mariage avec Jean de Bourbon présent sous la forme du cavalier en bleu ou bien de celui en blanc, rouge et noir.

A l’arrière-plan, les bâtiments sont plus difficilement reconnaissables que sur d’autres miniatures. Les historiens y voient souvent le Palais de la Cité avec le Chatelet et la Tour de l’Horloge. C’est là que Marie de Berry et Jean de Bourbon se sont effectivement mariés. On le retrouve d’ailleurs sur la miniature suivante du mois de juin.

On aurait alors trois scènes qui se suivent des mois d’avril à juin :
©R.M.N. / R.-G. Ojéda

Dans les très riches Heures, vous pouvez découvrir aussi :

les autres mois : janvier, février, mars, avril, mai, juillet, août, septembre, octobre, novembre , décembre

une fête chrétienne illustrée dans le livre : l’Ascension

Un étonnant “homme zodiacal”

La Mort de Léonard de Vinci

Léonard de Vinci est mort à Amboise le 2 mai 1519. La tradition qui veut qu’il se serait éteint dans les bras du roi François 1er est sans doute fausse. Le souverain était à ce moment-là à Saint-Germain-en-Laye où il signa plusieurs ordonnances (lois valables dans tout le royaume) la même semaine.

Il n’en reste pas moins que le roi était fasciné par le peintre italien. C’est lui qui le fit venir en France en 1515 pour le prendre à son service comme « « premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi » avec une pension de mille écus par an.
Déjà malade à cette époque, Léonard de Vinci vit sa santé décliner rapidement. En 1517, il développa une paralysie partielle de la main droite et mourut seulement deux ans plus tard.

Comme j’aime bien taquiner mes amis lecteurs de ce mur, je vous propose aujourd’hui « La Mort de Léonard de Vinci » peint par Jean-Auguste-Dominique Ingres en 1818 et conservé au Petit Palais à Paris.
© Wikimedia Commons, DP

La Nuit de Walpurgis

La fameuse toile que vous pouvez voir ci-dessous est « Le Sabbat des sorcières » de Francisco de Goya, peinte entre 1797 et 1798 et conservée au Musée Lazaro Galdiano de Madrid.

Le Diable apparaît sous la forme d’un grand bouc noir, une thématique classique de la tradition basque. En effet, le titre original de cette toile est « Aquelarre », du basque « akelarre » (aker = bouc et larre = lande), qui fait de la lande du bouc le lieu du sabbat par excellence. Celui-ci a déjà commencé: les sorciers ont apporté au diable son plat favori : des cadavres de petits enfants. Il va les dévorer avant de lancer l’orgie rituelle. A moins que ce ne soit déjà fait. On a souvent interprété la femme de dos au premier plan comme une allusion aux fellations et aux autres « pratiques contre-nature » que le démon attendait de ses adeptes.

Je ne vous parle pas de ce tableau aujourd’hui par hasard. Au moins depuis la fin du Moyen-Âge, les traditions populaires d’Europe du Nord et de France font de la nuit du 31 avril au 1er mai, la date d’un des grands sabbats annuels des sorcières. On l’appelait « nuit de Walpurgis » du nom d’une sainte anglaise (Walburge) venue évangéliser les Germains au VIIIe siècle de notre ère. Cette légende est sans doute l’écho déformé par des siècles de christianisme de célébrations antérieures à cette religion. Elles devaient marquer le passage de l’hiver à la belle saison. On allumait alors de grands feux avant de sacrifier aux anciens dieux pour qu’ils réveillent la nature et ramènent le printemps.

Plus tard, « La nuit de Walpurgis » devint un motif littéraire classique des récits fantastiques: on la retrouve dans le « Faust » de Goethe puis chez Paul Verlaine, Bram Stoker ou H. P. Lovecraft. Elle donna aussi son nom à de nombreux morceaux de musique, pièces de théâtre, films ou jeux vidéo.

L’enfant et la cathédrale

Sur le mur de l’ancien cinéma Normandie, un enfant joue a retirer sa flèche à la cathédrale de Bayeux toute proche.
Je ne sais pas s’il avait l’intention de la remplacer par une flèche strictement identique dans le respect du monument et de la tradition ou s’il s’orientait vers un choix résolument moderne : flèche de verre ou jardin suspendu avec nichoirs à abeilles.

Le transi de René de Chalon

J’étais d’humeur gothique hier soir quand j’ai réfléchi à ce que j’allais vous raconter ce matin. J’ai repensé à l’étonnante sculpture que vous pouvez voir ci-dessous : le transi de René de Chalon.

Il s’agit d’une statue funéraire réalisée par le sculpteur lorrain Ligier Richier vers 1545/1547 pour décorer le monument au cœur de René de Chalon dans la collégiale Saint-Maxe du château des ducs de Bar. On peut la voir aujourd’hui dans l’église Saint-Étienne de Bar-le-Duc (Meuse). De taille humaine (1,77 m), elle est encore plus spectaculaire en vrai qu’en photo.
Le fait qu’elle soit debout et non allongée sur un sarcophage comme un gisant est exceptionnel. Sa main gauche lève son cœur vers le ciel, c’est-à-dire Dieu, dans un geste plein d’élan, j’allais dire « plein de vie ».

Pour les curieux :

– Un transi, c’est quoi ?

« transi » signifie « passé », « mort ». C’est un type de statue qui vient remplacer les habituels gisants sur les tombeaux des personnages de haut rang à partir du XIVe siècle dans certaines régions d’Europe. On en trouve beaucoup dans l’est de la France ou l’Allemagne actuelle.
Comme les gisants, les transis représentent les morts, mais d’une manière totalement différente. Ils ne sont plus habillés et en train de dormir sereinement, voire de sourire, mais nus, déjà en train de se décomposer, voire à l’état de squelette, et souvent avec des expressions de visage dures voire torturées. Il faut dire que les temps sont particulièrement difficiles à l’époque dans ces régions ravagées par le Guerre de Cent ans, la grande peste et de nombreuses famines. Plus tard, quand Richier réalise le transi de René de Chalon, ces malheurs (violence, maladie, faim) sont toujours bien présents en Lorraine.

– Un monument au cœur, pour quoi faire ?

A la Renaissance, les grands personnages avaient souvent plusieurs tombeaux. A sa mort, les entrailles de René de Chalon ainsi que son cœur furent ensevelis dans la collégiale Saint-Maxe tandis que sa chair et ses os furent envoyés à Bréda (sud des Pays Bas actuels) dont il était le seigneur.

– René de Chalon, c’est qui ?

René de Chalon, prince d’Orange, était le stathouder, le gouverneur général, des comtés de Hollande et Zélande pour l’empereur Charles Quint. En 1540, il épousa la fille du duc de Lorraine et de Bar et vint dans la région. Elle n’était pas française à l’époque mais relevait de l’empire germanique.
En 1544, la guerre ayant repris entre le roi de France François Ier et Charles Quint, René de Chalon participa au siège de Saint-Dizier, une place forte proche de la frontière. Il y fut blessé à mort par un tir de couleuvrine, une sorte de petit canon à main.

Portraits de Delacroix

Un jour, il faudra que je vous fasse un statut sur le peintre Eugène Delacroix (26 avril 1798 – 13 août 1863) et surtout sur ses grands tableaux romantiques.
Mais, aujourd’hui, j’ai plutôt envie de jouer au jeu des 7 erreurs avec lui :

 

Les 92 ans d’Uderzo

Et si à côté de rendre hommage aux morts de la veille, on pensait aussi à ceux qui sont encore vivants ?

Aujourd’hui, Albert Uderzo fête ses 92 ans. Né le 25 avril 1927 à Fismes dans la Marne de parents italiens, il est naturalisé français en 1934.

Après avoir découvert la Bande Dessinée dans « Mickey Mouse », il publie son premier dessin dès 1941. Après une expérience décevante dans le dessin animé, il retourne à l’illustration et publie dans différents journaux, de l’édition jeunesse à la grande presse.

En 1950, il rencontre les scénaristes Jean-Michel Charlier et surtout René Goscinny avec qui il travaillera pour l’essentiel de sa carrière. Leur première œuvre commune est une rubrique de savoir-vivre pour un magasine féminin. Les années qui suivent sont assez difficiles et ce n’est qu’en 1958 qu’ils peuvent publier leur première série importante dans le journal Tintin: « Oumpah-Pah ».

Mais, dès l’année suivante, est lancé le magasine Pilote pour lequel Uderzo dessine deux séries : « Tanguy et Laverdure » scénarisée par Charlier et « Astérix » écrite par Goscinny. Il mène donc de front trois séries à cette époque. Mais, avec le succès croissant d’ « Astérix » et toutes les contraintes qui vont avec, Uderzo doit abandonner « Oumpah-Pah » en 1962, puis « Tanguy et Laverdure » en 1968.
En 1974, il crée, toujours avec Goscinny, les studios Idéfix pour adapter en dessin animé les aventures de leurs héros.

Goscinny meurt trois ans plus tard. Profondément bouleversé, Uderzo poursuit néanmoins seul « Astérix » avec plus ou moins de bonheur. Les années 90 sont marquées par une longue procédure judiciaire contre Dargaud portant sur les recettes de la vente des albums à l’étranger. L’éditeur est finalement condamné et Uderzo et les ayant-droits de Goscinny récupèrent les droits des 24 premiers albums de la série. Plus tard, vers les années 2000, commence un autre conflit qui oppose cette fois Uderzo à sa fille et son gendre.

En 2013, il a passé la main à Jean-Yves Ferri (scénario) et Didier Conrad (dessin) pour « Astérix ». Mais il continue depuis à superviser leurs albums.

Ci-dessous :
– Uderzo et Goscinny
– Astérix le Gaulois, page 1.

 

Columbo et les dangers de la dédicace

Revu hier, “The Conspirators”, un épisode de la saison 7 de “Columbo” de 1978 (une série que je redécouvre avec beaucoup de plaisir en ce moment).
Joe Devlin, un poète irlandais et néanmoins pourvoyeur de fusils des terroristes de l’IRA, y exécute un marchand d’armes… Oubliant au passage qu’il lui a dédicacé la veille son autobiographie. C’est grâce à ces quelques lignes que le lieutenant Columbo va retrouver sa piste… Vous devinez la suite.

Alors, chers collègues, évitez de tuer vos lecteurs après les séances de dédicace, faites-le plutôt avant. On ne sait jamais qui peut mener l’enquête.

Ci-dessous :
– La fameuse dédicace et le lieutenant Columbo en train de regarder un livre d’art érotique (!) dans le même épisode.

Élisabeth Vigée Le Brun

Le projet Princesses que je mène avec Maud Amoretti m’amène en ce moment à beaucoup regarder les peintures du XVIIIe siècle. Cela vous a déjà donné droit à Adélaïde Labille-Guiard, il y a quelques jours. Aujourd’hui, c’est le tour de Louise Élisabeth Vigée Le Brun (16 avril 1755 – 30 mars 1842).

Vivant à la même époque, elles connurent toutes deux les mêmes succès et les mêmes vicissitudes de carrière (scandales, campagnes de calomnies… mais aussi entrée à l’Académie royale de peinture et de sculpture). Au siècle suivant, le style d’Élisabeth Vigée Le Brun fut jugé souvent « mièvre » par les historiens de l’art qui lui reprochaient surtout d’être restée « royaliste » jusqu’à sa mort.
Elle fut aussi jugée très sévèrement par les féministes telles Simone de Beauvoir : « Au lieu de se donner généreusement à l’œuvre qu’elle entreprend, la femme la considère comme un simple ornement de sa vie ; le livre et le tableau ne sont qu’un intermédiaire inessentiel, lui permettant d’exhiber cette essentielle réalité : sa propre personne. Aussi est-ce sa personne qui est le principal — parfois l’unique — sujet qui l’intéresse : Mme Vigée-Lebrun ne se lasse pas de fixer sur ses toiles sa souriante maternité » (Le deuxième sexe, 1949)

Aujourd’hui, si la question de la maternité comme identité féminine et du narcissisme dans son œuvre demeure, les féministes la replacent davantage dans le contexte historique qui la vu naître et s’intéressent à sa place de « femme artiste » dans une société où l’étude Beaux Arts est quasi interdite aux femmes, où les liens clientélistes sont essentiels et où la réputation personnelle et les relations avec les collègues masculins conditionnent toute une carrière.


Ci-dessous :

– Autoportrait de 1790, Florence, Corridor de Vasari.

– La Reine « en gaule », 1783, Collection of the prince Ludwig von Hessen und bei Rhein, Wolfsgarten Castle, Allemagne.
Ce portrait fit scandale à l’époque. La « gaule » est une étoffe qui ne sert qu’aux sous-vêtements. Ici, la reine est donc « en chemise » (et non « en robe »). On n’est pas loin de l’obscénité.

– Autoportrait avec sa fille Julie, huile sur panneau, 1786, Le Louvre.
Ce tableau fit également scandale à l’époque : on voit les dents d’Elisabeth. Ça c’est mal, c’est très mal : seuls les fous ou les ivrognes sourient ainsi… Les gens comme il faut sourient en serrant les lèvres.