Lucrèce Borgia

Lucrèce Borgia est peut-être la jeune femme à la réputation la plus sulfureuse de la renaissance italienne: débauchée, incestueuse, empoisonneuse, rien ne l’aurait arrêtée. Une réputation à la hauteur de celle de son père le pape Alexandre VI et surtout de celle de son frère, le fameux César Borgia. Mais une réputation en grande partie imméritée.

Selon l’historiographie récente, Lucrèce, pour être une femme d’une grande beauté et surtout d’un caractère bien trempé – elle est un moment gouverneur de Spolète pour son père – est surtout un pion que les hommes de sa famille déplacent au gré de leurs intrigues et de leurs besoins politiques.

Ci-dessous les deux visages de Lucrèce Borgia :
Celui de la légende :

Portrait de femme traditionnellement considéré comme celui de Lucrèce Borgia, par Bartolomeo Veneto, c. 1520. Städel Museum de Francfort (Allemagne).

Celui de l’Histoire :

Le seul portrait confirmé de Lucrèce Borgia pour lequel elle a posé : Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare, attribué à Battista Dossi, c. 1519, National Gallery of Victoria (Australie).

Lucrèce est mariée une première fois à 13 ans en 1493. Mais, 4 ans plus tard, Alexandre VI, dont les intérêts diplomatiques ont changé, annule cette union au prétexte qu’elle n’a pas été consommée. Le mari de Lucrèce, Giovanni Sforza, est contraint de déclarer en public qu’il est impuissant. C’est faux, mais personne ne s’en soucie. Humilié, l’ex-mari lance la rumeur d’un inceste entre Lucrèce et son frère/son père.

Cela n’empêche pas la jeune femme d’être remariée l’année suivante à Alphonse d’Aragon. Ils ont un enfant, mais là encore les intérêts d’Alexandre VI changent. Comme on ne peut plus annuler le mariage, le mari est proprement assassiné en 1500. Lucrèce, qui semble attachée à ce deuxième conjoint, se brouille alors avec sa famille. Mais peut importe: concrètement, elle dépend toujours de son père. Elle n’a pas le choix, elle doit plier devant lui.

Dès 1501, elle est donc mariée pour la troisième fois. Vue sa réputation de « bâtarde dépravée », son père doit lui fournir une énorme dot. Mais cette fois, c’est la bonne. Alphonse Ier d’Este reste l’époux de Lucrèce jusqu’à ce qu’elle meure en 1519 après avoir donné naissance à une petite fille, leur huitième enfant.

Durant cette ultime union, Lucrèce s’intéresse peu à la politique, peut-être dégoutée par toutes les intrigues auxquelles elle a dû participer bon gré mal gré à Rome. Mais, cultivée – elle connaît le latin et le grec – elle soutient les artistes conformément à la tradition aristocratique de son époque.

À sa mort, sa réputation est en grande partie rétablie, mais c’est compter sans Victor Hugo. Sa pièce éponyme montre une Lucrèce Borgia aussi belle que cruelle, incestueuse et meurtrière sans remords. C’est fini, c’est cette image qui passera à la postérité.