L’actualité

Narration : une page de Kogaratsu

Hier, l’envahissement de mon fil FB par des photos de Marc Michetz m’a appris sa mort. Je ne le connaissais pas personnellement mais j’avais lu, il y a quelques années, et beaucoup apprécié la série Kogaratsu qu’il avait réalisée avec Bosse au scénario.

Elle avait commencé en 1983, bien avant la grande mode du manga, 20 ans même avant la traduction du Lone wolf and Cub de Kazuo Koike et Goseki Kojima en français. Comme Ogami Itto, le loup solitaire, Nakamura Kogaratsu est un samouraï qui perd son maître et erre en rônin sur les routes du Japon du XVIIe siècle.

Je vous montre ici une page de l’histoire courte Le Pont de nulle part dessinée en 1988 et publiée en album 3 ans plus tard. Contrairement à la page de d’Astérix que je vous ai présentée il y a quelques temps où il n’y avait que des bulles et pas dessin (voir ici ), ici, on a une page illustrée mais complètement muette. La narration BD peut tout à fait se passer de cartouche et de dialogues pour transmettre un message.

La page se divise en 2 partie égales. La première est une seule grande case qui nous décrit la situation de départ : Kogaratsu, de face à l’arrière-plan, découvre un combattant qui tourne le dos au lecteur et semble bizarrement attendre devant un pont détruit, qui ne mène nulle part. Un homme très mystérieux donc. Michetz a dessiné ces deux samouraïs au milieu d’un site très riche et très évocateur du Japon où la ruine le dispute en élégance à la nature qui l’entoure (rochers, arbres, ciel).

Ce décor posé, il n’y a plus besoin d’y revenir ensuite. Michetz peut se concentrer sur ses personnages. La deuxième partie de la page se concentre sur leurs regards. Ils se jaugent, sans un mot, avant de s’affronter. Mais, si au centre on a deux petites cases avec les yeux de chacun des adversaires, le reste des cases qui les entourent est consacrée à ce que regarde Kogaratsu : le visage fermé de son futur opposant, ses armes et finalement, son étendard. Celui-ci pourrait briser le silence de la page mais l’inscription qu’il porte est en japonais, c’est-à-dire que lecteur ne la comprendra sans doute pas. Elle ne lui dira rien et restera un accessoire décoratif. Il faudra attendre la page suivante pour apprendre qu’elle est une invitation à combattre son propriétaire.

Cette deuxième partie aurait pu être construite sur de parfaits effets de symétrie, mais cela l’aurait sans doute rendue très figée. Au lieu de cela, Michetz a mis en écho les cases avec le sabre et l’étendard avec deux petites cases au lieu d’une seule. Il a également décalé les yeux des deux hommes vers la gauche et les a placés légèrement par-dessus les autres cases. C’est cela qui donne de la vie à l’ensemble et rend plus intense le duel de regard.

Et ne pensez pas qu’on soit ici dans un effet cinématographique : c’est purement de la Bande Dessinée.

Tintin avant Tintin

En 1898, paraissait le premier album des aventures de Tintin ou plutôt de Tintin-Lutin.
Il s’agissait d’un recueil d’histoires courtes pour enfants créées par Benjamin Rabier et Fred Isly. Elles racontaient les bêtises et les tours joués à son entourage par un jeune garçon surnommé Tintin-Lutin.
Pourquoi ? L’introduction du livre nous répond :
“Ça ! c’est Tintin, oui, c’est Tintin-Lutin,
De son vrai nom il s’appelle Martin,
Mais sa maman lui donna ce surnom :
Car c’était un véritable démon,
Un diablotin remuant et peu sage ;
Du reste, ça se lit sur son visage.”
Bref, un caractère à l’opposé de celui du héros d’Hergé qui n’a jamais caché son admiration pour Benjamin Rabier ni l’influence qu’il eut sur lui.

Comment naissent les idées ?

On m’a souvent posé cette question et j’ai toujours eu beaucoup de mal à répondre de manière synthétique. Heureusement, maintenant je pourrai citer l’excellente série Mad Men que je regarde à nouveau en ce moment.

On est dans les années 60, chez Sterling Cooper, une agence de publicité new-yorkaise. Peggy, une jeune secrétaire, parvient à se faire remarquer et à devenir rédactrice publicitaire, chose quasiment impossible vu le sexisme de l’époque bien mis en avant dans la série. A l’annonce de sa promotion, elle a un moment de flottement et semble perdre sa confiance en elle.

Son chef, le directeur créatif Donald Draper, lui donne alors ce conseil qu’on pourrait donner aussi à tout scénariste/écrivain commençant un projet sur un nouveau sujet : “Immergez-vous dedans, et puis oubliez-le et pouf ! L’idée surgira”.

Je cite de mémoire, mais j’ai souvent fait l’expérience de me plonger dans un sujet, de tourner en rond pendant des heures autour de ses thématiques, de ne rien trouver et de décider, déçue et énervée, de passer à autre chose… Et c’est quelques heures plus tard, pendant que je réaligne mes Playmobils sur leur étagère ou bien que je me brosse les dents, que j’ai enfin une idée, voire un vrai début de récit.

Ouf… Enfin, après il faut écrire une vraie intrigue, mais c’est une autre histoire.

Exposition : Plus loin – La nouvelle science-fiction

Du 30 janvier au 16 novembre 2025, j’aurai le plaisir de participer à Plus loin – La nouvelle science-fiction, la grande exposition consacrée à la bande dessinée de sf par le Musée d’Angoulême.

Vous pourrez y découvrir des planches du Fléau des dieux, réalisées avec Aleksa Gajic et d’ Inhumain conçues avec Denis Bajram et Thibaud de Rochebrune. Elles seront au milieu des œuvres de plus de 150 autrices et auteurs réunies avec soin par les co-commissaires Lloyd Chéry et Julie Sicault Maillé.

Je suis bien impatiente de voir toutes ces magnifiques planches et j’espère que vous serez nombreux à venir en profiter dès le prochain Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême.

Thorgal Saga : news de La Déesse d’ambre

Voici une grande case de La Déesse d’ambre, le Thorgal saga que je réalise avec Christophe Bec et Gaétan Georges. Ce dernier est d’ailleurs en train de commencer les couleurs de l’album.
De mon côté, je viens tout juste de terminer le scénario.
Bref, si Huldra, notre chère déesse d’ambre, est avec nous, vous devriez pouvoir découvrir le livre en boutique dès le début de 2026.

Tanis dans Spirou

Précipitez-vous chez votre marchand de journaux, Tanis vient de commencer dans le Journal Spirou ! En plus, il y a une interview de ses deux vaillants scénaristes, Valérie Mangin et Denis Bajram (nous deux, quoi), et de leur fabuleux dessinateur, Stéphane Perger !

Parution de l’album en janvier 2025 aux Éditions Dupuis.

Narration : Vagabond des limbes et mise en abyme

Le scénariste Christian Godard nous a quittés la semaine dernière. Parmi toutes ses nombreuses séries, j’ai toujours eu un faible pour Le Vagabond des limbes qui commence à paraître en 1975.

Dans ce long récit de science-fiction pour le moins déjanté, Axle Munshine parcourt l’univers en quête du bonheur, accompagné de son « petit clown » préféré, Musky, l’ado éternel à la recherche d’un adulte qui lui donnerait envie de grandir.

Les idées narratives et visuelles sont très nombreuses dans la série et c’est dur de ne vous montrer qu’une seule page. Dans celle qui se trouve ci-dessous, la planche 28 du tome 1, Axle découvre ce qui le fascine chez une jeune femme vue en rêve : elle lit une bande dessinée… celle même que le lecteur tient en main ! Rejoindre la belle Chimeer et son album devient alors, bien sûr, l’obsession d’Axle.

Ici la mise en abyme n’est pas qu’une figure narrative amusante : elle participe au « fond » du récit, à son histoire, autant qu’à sa « forme ». Elle pose même la bande dessinée en moteur de l’aventure, en objet-art méritant qu’on passe sa vie à le chercher, comme on le ferait avec un être aimé. Peut-être même est-il moins chimérique que l’amour qui sait ? Je vous laisse répondre (vous avez 4h)

Alix : Le Gardien du Nil en librairie

Ruez-vous tous dans les librairies ! C’est le grand jour : Le Gardien du Nil est disponible partout ce mercredi 13 novembre.

Petite présentation de Casterman :
“Après avoir déjoué deux tentatives d’assassinat contre Enak, les soupçons d’Alix guident son chemin vers l’Égypte. Mais à peine sont-ils arrivés à Alexandrie que les deux aventuriers sont séparés et emprisonnés. Enak est alors livré à un homme mystérieux, qui souhaite venger le funeste destin de Sakhara. Trahi par les personnes en qui il avait le plus confiance, Alix devra compter sur des alliés de longue date, mais aussi sur d’anciens ennemis, pour avoir une chance de sauver son compagnon.”
Il est temps pour Alix de retourner dans la capitale des Menkharâ, des années après les évènements du Prince du Nil.