Le Déluge de Commerre

De la tempête (Benjamin) au déluge, il n’y a qu’un pas. Voici donc Le Déluge, peint en 1911 par Léon Commerre et exposé au Musée des Beaux-Arts de Nantes.

Si le mythe du déluge, une inondation catastrophique au point de détruire l’humanité ou presque, est présent dans de nombreuses cultures, il est surtout connu chez nous par sa version présente dans le récit biblique de le Genèse. Dieu, en colère contre sa création, décide de tout noyer à l’exception de Noé, de sa famille et d’un couple de chaque espèce animale. Tous trouvent refuge dans une arche géante et survivent finalement pour repeupler la terre après la descente des eaux.

Mais Commerre n’a pas cherché à illustrer la survie des rares élus mais les victimes du cataclysme aux prises avec l’extrême violence de celui-ci. Son style académique tardif lui permet de rendre tangible le déferlement de la pluie comme l’horreur des derniers instants d’un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants. Tous sont déjà aussi blêmes que les cadavres qui les entourent et aussi terrifiés que les animaux qui les ont rejoints sur leur pauvre bout de rocher. Entourés d’eaux noires, éclairés par une lumière ultra-dramatique, tragiquement nus, ils ne le savent pas encore, mais ils sont déjà en Enfer et y entrainent le spectateur avec eux.

L’Escamoteur escamoté

On le sait les vols dans les musées sont trop courants… Le tableau que je vous montre aujourd’hui, L’Escamoteur de Jérôme Bosch, peint entre 1475 et 1505, fut ainsi escamoté le 13 décembre 1978 du Musée municipal de Saint-Germain-en-Laye, par un groupe d’hommes dans lequel figuraient deux des futurs fondateurs du groupe Action Directe.

L’œuvre fut retrouvée moins de deux mois plus tard. Mais le musée dut fermer ses portes et le tableau n’est plus exposé de manière permanente mais bien caché dans un coffre-fort.

C’est assez ironique quand on pense que la toile représente un gogo, hypnotisé par un bateleur au point de cracher des grenouilles (ou de les avaler ? on dirait avaler des couleuvres, nous), en train de se faire voler sa bourse. Le voleur regarde vers le ciel, l’air de rien, mais plusieurs spectateurs comprennent ce qui se passe et se moquent de la victime plutôt que de lui venir en aide. Ainsi, dans ce tableau, bêtise, malhonnêteté et cruauté semblent se partager le monde, une vision des choses qu’on peut encore aisément partager certains jours de notre cher XXIe siècle.

1792 : on vole les joyaux de la Couronne !

Ce dimanche 19 octobre, huit « bijoux des souverains français » ont été dérobés dans une vitrine du Musée du Louvre.

Aussi étonnant que soit ce vol, ce n’est pas la première fois que des joyaux de la Couronne française disparaissent ainsi dans la nature. Du 11 au 17 septembre 1792, plusieurs dizaines de voleurs (40 ?) menés par un certain Paul Miette avaient réussi à entrer chaque nuit (!) dans le Garde-Meuble de la Couronne, place de la Révolution (de la Concorde aujourd’hui). Ils avaient emporté près de 9 000 (!) pierres précieuses dont le fameux diamant « Régent » représentant à lui seul la moitié de la valeur de la collection. Les brigands étaient déjà passés par une fenêtre du premier étage mais ils s’étaient simplement aidés d’une corde et non d’un monte-charge.

 

Heureusement pour les bijoux et malheureusement pour les pillards, ils furent rapidement arrêtés. Huit d’entre eux furent reconnus coupables de « conspiration tendant à spolier la République » et condamnés à la guillotine. Mais il fallut deux ans pour retrouver la plupart des pierres. Le « Bleu de France », un gros diamant de cette couleur, réapparut, lui, 20 ans plus tard en Angleterre. C’est aujourd’hui le diamant Hope exposé au Smithsonian Institute (Washington).

L’Abbatiale Saint-Vigor à Cerisy-la-Forêt

L’agréable balade du week-end. Nous sommes allés nous promener en forêt de Cerisy, dans la Manche. Nous en avons profité pour visiter la charmante abbatiale de l’ancienne abbaye Saint-Vigor.
Elle a été fondée dès le VIᵉ siècle de notre ère par Vigor, un évêque de Bayeux qui sera canonisé. Il a fait élever les premiers bâtiments sur des terres données en remerciement après son combat victorieux contre… un dragon.
Détruite par les Vikings, l’abbaye est relevée par Robert le Magnifique, père de Guillaume le Conquérant, au XIᵉ siècle. Elle reste un important centre économique et culturel jusqu’à la Révolution.
À cette date, elle est confisquée comme les autres biens de l’Église puis vendu à un artificier qui la démolit en grande partie pour en vendre les pierres. Elles servent à construire des routes et élever des maisons.
Restée debout, l’abbatiale est classée au titre des monuments historiques en 1840 et elle mérite toujours le détour.

Siestes et méridiennes de Millet et van Gogh

Pour continuer sur la canicule, puisqu’elle continue ces jours-ci pour beaucoup d’entre vous, voici deux des tableaux qui la symbolisent le mieux. Deux tableaux ou plutôt un et sa réinterprétation.

Voici :

  • La Méridienne ou Les quatre heures de la journée : midi réalisée au pastel par Jean-François Millet en 1866 et conservée au Museum of Fine Arts de Boston

  • La Méridienne ou La Sieste peinte par Vincent van Gogh en 1889-1890 et conservée au Musée d’Orsay.

Alors que Millet s’inspire des paysans de Barbizon qu’il voit tous les jours et de leurs travaux des champs, van Gogh s’inspire, lui, de Millet.

Il l’admire et le considère comme un des peintres des plus modernes de son époque. Pour ce tableau, il parle à son frère Théo de traduire dans la langue des couleurs les impressions de clair-obscur de Millet.

Ainsi, si van Gogh reprend quasiment à l’identique la composition de son prédécesseur, il fonde, lui, son tableau sur le contraste intense de bleus et de jaunes, des couleurs complémentaires. Finalement, ses paysans paraissent toujours agressés par la violente lumière de l’été dont rien ne vient les protéger au contraire de ceux de Millet qui semblent jouir dans l’ombre d’un sommeil apaisé.

Les Otages, de Jean-Paul Laurens

On croit souvent à tort qu’une image est toujours plus facile à comprendre et à interpréter qu’un texte. C’est ce qui a longtemps fait reléguer la Bande Dessinée, cet art de l’image par excellence, au rang de divertissement pour les enfants. Mais je ne vais pas vous parler de Bande Dessinée aujourd’hui mais d’un tableau à qui les critiques font raconter deux histoires différentes : Les Otages, peint Jean-Paul Laurens en 1896 et conservé au musée des Beaux-Arts de Lyon.

On y voit deux garçons en costumes moyenâgeux emprisonnés dans une salle ronde, l’air abattu. À part la porte fermée, on ne voit près d’eux qu’un trou rond et obscur, un puits sans margelle, vers lequel convergent les lignes du sol et le regard des prisonniers. On ne sait pas ce que vont devenir les deux enfants mais ça n’a, a priori, rien de réjouissant…

Les enfants de la Tour de Londres

À la fin du XIXe siècle, on interpréta ce tableau comme une représentation du jeune roi Édouard V d’Angleterre et de son frère, Richard de Shrewsbury, enfermés à la tour de Londres en 1483 par leur oncle, Richard de Gloucester, qui voulait usurper le pouvoir. On n’entendit plus jamais parler d’eux après leur enfermement et on pense qu’ils ont été simplement assassinés tous les deux.

L’idée de ce double meurtre d’enfants pour satisfaire une volonté de domination était extrêmement choquante en 1896 (et le reste de nos jours). Ici, on aurait l’impression que la porte du tableau va rester fermée et que les deux garçons vont finir par tomber dans le puits qui attire tous les regards.

Le puits et le pendule

Aujourd’hui, le spécialiste de l’Art contemporain, François de Vergnette, propose une autre interprétation de cette situation dramatique. Pour lui, le tableau serait, non une scène historique, mais une scène de genre inspirée par une nouvelle d’Edgar Allan Poe, Le Puits et le Pendule.

Dans ce récit, un prisonnier de l’Inquisition espagnole est enfermé dans une prison obscure avec un large puits en son centre dans lequel il manque de tomber en explorant sa cellule. Il s’évanouit en faisant cette découverte et se réveille ligoté dans la même pièce, mais avec un pendule, une grande lame, qui se balance au-dessus de lui en se rapprochant inexorablement. Heureusement, le prisonnier arrive à se détacher juste avant d’être découpé. Mais les murs de la pièce, rendus brûlants, commencent alors à se rapprocher de lui et à l’obliger à aller vers le puits. Il va tomber dedans quand un bras secourable le rattrape et le sauve in extremis. On espère qu’il en sera de même des enfants de Laurens, mais rien n’est moins sûr.

Le peintre, en tout cas, n’a jamais commenté son œuvre. Tout reste donc ouvert. Qui sait quelle nouvelle hypothèse on échafaudera dans 100 ans ?

Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils

Comme c’est la fête des pères ce week-end et que je suis d’humeur caustique aujourd’hui, je vous montre ce terrible Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils peint par Peter Paul Rubens entre 1636 et 1638 et conservé au Musée du Prado.

Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils par Peter Paul Rubens, vers 1636- 1638, Musée du Prado

C’est une représentation assez classique du mythe gréco-romain. Saturne, le Cronos des Grecs, était le roi des Titans. Il avait détrôné son père Uranus, le Ciel, qui régnait avant lui. Mais il savait qu’un jour, un de ses propres fils prendrait sa place.

Pour éviter cela, il ordonna à son épouse, Cybèle, de lui livrer tous ses enfants, dès leur naissance, pour qu’il les dévore. Elle obéit jusqu’au jour où elle accoucha du petit Jupiter. Elle réussit à le cacher et offrit à sa place à son horrible mari une pierre qu’il dévora aussitôt.

On connait la suite. Jupiter grandit. Il parvint effectivement à renverser son père et lui fit régurgiter ses frères et sœurs. Une nouvelle génération de dieux pouvait s’installer dans l’Olympe. Et son nouveau roi prit bien garde, lui, à n’engendrer aucun fils plus puissant ou plus malin que lui…

Et pour avoir une vision gréco-romaine plus sympathique de la paternité : Silène et Dionysos

Tanis, une cité égyptienne

Tanis n’est pas seulement le nom de l’héroïne que j’ai créée avec Stéphane Perger et Denis Bajram, c’est aussi et surtout le nom grec d’une très ancienne cité de l’est du delta du Nil.

Vous en avez tous déjà entendu parler : c’est là qu’Indiana Jones découvre l’arche d’alliance dans le premier volet de ses aventures. Mais la ville n’a pas été redécouverte par les Nazis, mais bien avant : dès le premier quart du XVIIIe siècle. Elle est d’ailleurs étudiée depuis la fameuse expédition d’Égypte de Bonaparte.

Grand Sphinx de Tanis, Musée du Louvre, © Shonagon.

Elle a été fondée au XIe siècle avant notre ère alors que le pays du Nil était divisé entre la Haute Égypte contrôlée par les prêtres d’Amon, le dieu souverain à tête de bélier, et la Basse Égypte des rois de la XXIe dynastie. Ce sont eux qui fondèrent Tanis. La cité resta très active jusqu’à l’arrivée de Romains au Ier siècle avant notre ère et ne fut abandonnée que plusieurs siècles plus tard, peut-être après un grand tremblement de terre.

Tombeau du roi Osorkon II, ©Jon Bodsworth.

Tanis fut copiée sur Thèbe, la capitale de la Haute Égypte et consacrée à la triade divine Amon, Mout, sa compagne, et Khonsou, le dieu lunaire (si vous lisez des comics, oui, c’est bien ce Khonsou-là). Leurs immenses aires sacrées se situaient au nord de la cité qui s’étendait sur plus de 200 ha.

Elle était aussi par une belle nécropole royale où fut découvert le trésor royal le plus important après celui de Toutânkhamon.

Malheureusement, les bâtiments de pierre furent détruits à la fin de l’Antiquité. Ils servirent de carrières et beaucoup finirent dans les fours à chaux des artisans locaux. Seuls restent aujourd’hui les éléments de pierre dure (granit, quartzite…) : obélisque, colosses, stèles… qui gisent en un amoncellement chaotique sur le site.

© O. Louis Mazzatenta

De l’inflation du nombre de pages des albums BD

Je suis passée récemment en librairie pour découvrir les nouveautés. J’ai commencé à regarder les albums, à feuilleter… Je me suis arrêtée sur l’un d’eux. J’avais un bon a priori sur son auteur, dont j’avais déjà lu quelques livres. J’étais plutôt attirée par le thème de son nouvel album ainsi que son dessin et le début de narration entrevue au feuilletage. Il aurait fallu que je l’achète pour savoir si mon attirance était justifiée (ou pas).

Le souci, c’est qu’en regardant de plus près, j’ai remarqué que l’album, de plus de 100 pages, coutait presque 30€. J’aurais pu l’acheter, j’ai le budget pour ça. Mais je l’ai reposé.

Pourquoi ? Parce que j’ai trouvé exagéré de payer une telle somme pour une BD qui me décevrait peut-être (ou peut-être pas). Je vais donc attendre d’avoir des retours critiques de personnes de confiance pour savoir si je me décide ou pas… en espérant que ces personnes de confiance ne vont pas le reposer comme moi.

Maintenant, je ne peux m’empêcher de me demander combien de lecteurs potentiels font comme moi et commencent à trouver les prix des BD excessifs pour tenter de nouvelles expériences, découvrir de nouveaux auteurs ou de nouveaux récits. Les études du CNL nous disent que le nombre de lecteurs baisse en continue. Mais combien de lecteurs perdons-nous, en ce moment-même, à jouer le jeu de l’album toujours plus gros, toujours plus cher ?

 

Les oies du Capitole

La belle déesse Junon dont je vous parlais hier avait son temple sur la colline du Capitole à Rome, à côté de celui de Jupiter. Il était célèbre pour abriter des oiseaux consacrés à la déesse, pas des paons, mais des oies. Moins jolies mais plus utiles, elles sont restées célèbres car la légende veut qu’elles aient empêché leur ville de tomber totalement aux mains des Gaulois en 390 avant notre ère.

Ceux-ci occupaient alors le nord de l’Italie actuelle et avaient bien l’intention de prendre le reste. Leur expédition fut couronnée par la victoire de l’Allia au cours de laquelle ils écrasèrent l’armée romaine en juillet 390. Quelques jours plus tard, ils mettaient le siège devant Rome. Beaucoup de citoyens fuirent la ville. Ceux qui voulurent résister se réfugièrent sur le Capitole. Leur situation était désespérée. Ils manquaient de tout, y compris de nourriture. Pourtant, ils ne mangèrent pas les oies sacrées de Junon.

Paul-Henri Motte, Les Oies du Capitole, 1889.

Incapables de lancer eux-mêmes une contre-attaque, ils attendaient des renforts extérieurs. Une nuit, un soldat du général en exil Marcus Furius Camillus parvint à franchir les lignes gauloises pour leur apporter un message réconfortant : son chef avait rassemblé une nouvelle armée et s’apprêtait à marcher sur Rome pour la délivrer. Mais, Cominius Pontius, c’était le nom du soldat, avait réussi à monter au Capitole en nageant dans le Tibre et en escaladant des rochers accessibles. Des sentinelles gauloises repérèrent les traces humides qu’il avait laissé derrière lui et les envahisseurs décidèrent de suivre le même chemin, la nuit suivante, pour prendre les défenseurs romains par surprise.

Les oies sauvent le Capitole romain des envahisseurs gaulois, de ‘Le Bon Sens Populaire’, c.1900 · Alexandre Grellet

C’est là que les oies interviennent. Réveillées par les Gaulois, elles se mirent à caqueter frénétiquement et avertirent les soldats attaqués de ce qui se passait. Le vétéran Marcus Manlius réagit tout de suite et, avec ses hommes, repoussa dans le vide les premiers Gaulois imprudents. Les autres préfèrent se retirer. Camillus et son armée arrivèrent peu de temps après et libérèrent entièrement Rome.

Les habitants n’oublièrent pas ce qu’ils devaient aux oies de Junon. Tous les ans une cérémonie était organisée en leur honneur. On portait l’une d’elles en procession dans la ville en sacrifiant des chiens sur son passage, chiens qui avaient manqué, eux, à leur devoir de vigilance et n’avaient pas prévenu leurs maîtres de la menace nocturne.