Les très riches Heures du duc de Berry : le Jardin d’Eden

Si vous me suivez depuis un petit temps, vous savez que j’ai un faible pour les très riches Heures du duc de Berry, un livre liturgique copié et illustré au XVe siècle.

Les très riches Heures sont célèbres pour la centaine de miniatures que renferment leurs feuillets. J’ai déjà parlé ici de celles illustrant le calendrier mais, ce soir, je vous en propose une autre inspirée de la Genèse, le premier livre de la Bible : « Le Paradis terrestre ».

© IRHT-CNRS/Gilles Kagan

En une seule image toute ronde, le peintre Jean de Limbourg réussit à rassembler les quatre scènes-clés du récit biblique. Elles se déroulent toutes au paradis terrestre et se suivent de gauche à droite dans l’ordre chronologique de l’histoire:

– le serpent, un démon pourvu d’un buste de femme ! tend le fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal à Ève, la première femme, alors que Dieu a formellement interdit à celle-ci d’y toucher.

– Ève donne ce fruit à Adam, le premier homme. On ne le voit pas ensuite mais ils vont tous les deux y goûter et se rendre alors compte qu’ils sont nus.

– Malheureusement pour eux, Dieu choisit ce moment pour venir les voir. C’est lui le vieillard avec l’auréole dorée qu’on voit dans la troisième scène devant Adam et Ève. Honteux de leur nudité, ceux-ci cachent leur sexe avec leur main. À ce geste, Dieu comprend qu’ils lui ont désobéi et ont mangé le fruit défendu. Il décide de les punir.

– Ève et Adam sont chassés du paradis par un ange. Dieu leur refuse dorénavant de pouvoir goûter aux fruits de l’arbre de vie, un autre arbre extraordinaire qui permettait de vivre éternellement. On ne le voit pas ici. Par contre, le grand dais gothique au centre de l’image représente un autre symbole d’immortalité : une fontaine de jouvence, une eau censée pouvoir rajeunir ceux qui la boivent ou qui s’y baignent.

Et la punition ne s’arrête pas là. Dorénavant, Adam devra travailler la terre pour en arracher sa nourriture et Ève, à l’origine de leur faute commune, devra lui obéir en toute chose et enfanter la nouvelle humanité dans la douleur. (Bref, un récit qui nourrit des siècles d’inégalité des sexes, voire de franche misogynie, mais ça, c’est une autre histoire).


Dans les très riches Heures, vous pouvez découvrir aussi :

les différents mois du calendrier : janvier, février, mars, avril, mai, juillet, août, septembre, octobre, novembre , décembre

une fête chrétienne illustrée dans le livre : l’Ascension

Un étonnant “homme zodiacal”

L’Apocalypse illustrée en l’an 1000

Image tirée du Beatus de l’Escorial, un manuscrit composé vers l’an 1000 en Espagne. Il reprend le commentaire de l’Apocalypse du moine Beatus de Liébana.

Ici on a l’illustration du chapitre 13, 1-4, de l’Apocalypse sur l’adoration de la Bête et du Dragon :

« Puis je vis monter de la mer une bête qui avait dix cornes et sept têtes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des noms de blasphème.

La bête que je vis était semblable à un léopard ; ses pieds étaient comme ceux d’un ours, et sa gueule comme une gueule de lion. Le dragon lui donna sa puissance, et son trône, et une grande autorité.

Et je vis l’une de ses têtes comme blessée à mort ; mais sa blessure mortelle fut guérie. Et toute la terre était dans l’admiration derrière la bête.

Et ils adorèrent le dragon, parce qu’il avait donné l’autorité à la bête ; ils adorèrent la bête, en disant : Qui est semblable à la bête, et qui peut combattre contre elle ? »

Portrait de Simonetta Vespucci

Tableau peint vers 1480 et conservé actuellement au Musée Condé (Chantilly)

Ce portrait idéalisé de jeune femme a été peint vers 1480 par Piero di Cosimo alors sans doute aussi jeune que son modèle.
L’inscription qui ressemble à celles de l’Antiquité évoque la sublime Simonetta Vespucci qui ravit la ville de Florence par sa beauté de son mariage avec Marco Vespucci en 1469 à sa mort seulement sept ans plus tard. La tuberculose l’emporta a à peine 23 ans.
Mais les peintre ne l’oublièrent pas : Boticelli réalisa plusieurs portraits posthumes d’elle et demanda même à être enterré à ses pieds.
Quant à Piero di Cosimo, il la représenta ainsi dénudée, avec un serpent enroulé autour de son cou. On ignore la signification exacte de l’animal : est-il un symbole de la mort foudroyante ? Fait-il de Simonetta une nouvelle Cléopâtre ? Une deuxième Ève ? Une déesse des Enfers ? Je vous laisse choisir.

Étrange hydrie

Big brother version Grèce antique.

Hydrie du British Museum, fabriquée à Athènes vers 500 avant notre ère.
Une hydrie est un vase destiné à recueillir et servir de l’eau.

Elle représente deux sirènes confrontées avec de grands yeux sur leurs ailes. De même, au-dessus, le dieu du vin (!) Dionysos est représenté entre deux grands yeux.

Pourquoi tous ces yeux ?? Excellente question 🙂

Le Diable et saint Augustin

Jamais on n’a représenté le diable avec autant d’imagination qu’au Moyen-Âge, enfin à la fin de celui-ci.

Dans cette peinture de Michael Pacher, il est vert, sa couleur traditionnelle, et vraiment repoussant. Un choix d’apparence curieux quand on sait qu’il essaie de tenter saint Augustin, l’évêque d’Hippone (dans l’Algérie actuelle), un des Pères de l’Église, ces théologiens dont les écrits ont contribué à fixer la doctrine chrétienne.

« Le diable présentant à saint Augustin le livre des vices », panneau peint de la fin du XVe siècle de Michael Pacher, extrait de son retable des Pères de l’Église. Conservé à l’Alte Pinakothek (Munich). Photographie de BPK/RMN-GRAND PALAIS

La Raie de Jean Chardin

Jean Siméon Chardin, La raie, vers 1725-26. Morceau de réception à l’académie royale de peinture. Musée du Louvre.

” Maintenant venez jusqu’à la cuisine dont l’entrée est sévèrement gardée par la tribu des vases de toute grandeur, serviteurs capables et fidèles, race laborieuse et belle. Sur la table les couteaux actifs, qui vont droit au but, reposent dans une oisiveté menaçante et inoffensive.

Mais au-dessus de vous un monstre étrange, frais encore comme la mer où il ondoya, une raie est suspendue, dont la vue mêle au désir de la gourmandise le charme curieux du calme ou des tempêtes de la mer dont elle fut le formidable témoin, faisant passer comme un souvenir du Jardin des Plantes à travers un goût de restaurant. Elle est ouverte et vous pouvez admirer la beauté de son architecture délicate et vaste, teintée de sang rouge, de nerfs bleus et de muscles blancs, comme la nef d’une cathédrale polychrome.

À côté, dans l’abandon de leur mort, des poissons sont tordus en une courbe raide et désespérée, à plat ventre, les yeux sortis.

Puis un chat, superposant à cet aquarium la vie obscure de ses formes plus savantes et plus conscientes, l’éclat de ses yeux posé sur la raie, fait manœuvrer avec une hâte lente le velours de ses pattes sur les huîtres soulevées et décèle à la fois la prudence de son caractère, la convoitise de son palais et la témérité de son entreprise.

L’œil qui aime à jouer avec les autres sens et à reconstituer à l’aide de quelques couleurs, plus que tout un passé, tout un avenir, sent déjà la fraîcheur des huîtres qui vont mouiller les pattes du chat et on entend déjà, au moment où l’entassement précaire de ces nacres fragiles fléchira sous le poids du chat, le petit cri de leur fêlure et le tonnerre de leur chute. ”

Marcel Proust, “Rembrandt et Chardin” 1895.

La mort de Tibère

Le 16 mars 37 de notre ère, l’empereur Tibère mourut à Misène en Campanie. Vivant depuis longtemps isolé dans l’île de Capri, il désirait rejoindre Rome pour y rendre son dernier soupir, mais il n’en eut pas le temps. Comme il était très impopulaire, le peuple se réjouit beaucoup de sa mort et surtout de l’avénement de son successeur, un tout jeune empereur qui promettait beaucoup : Caligula.

Beaucoup de rumeurs coururent à l’époque sur les raisons de la mort de Tibère et les historiens émirent ensuite des hypothèses encore plus nombreuses. Évidemment, l’empereur, âgé de 77 ans, est peut-être tout simplement mort de vieillesse ou de maladie. Mais un tel tyran méritait bien une fin un peu plus cruelle et romanesque.

Suétone raconte que Caligula le fit lentement empoisonner, voire le fit mourir de faim, à moins qu’il n’ait donné l’ordre de l’étouffer avec un coussin. Pour Dion Cassius, c’est le jeune homme lui-même qui étouffa son grand-oncle. Il faut dire que le vieillard avait fait mourir de faim la mère de Caligula et avait peut-être aussi trempé dans le décès prématuré de son père.

Jean-Paul Laurens nous montre ci-dessous encore une autre version de la mort de Tibère, celle de Tacite. Selon lui, c’est son préfet du prétoire, un certain Macron, qui l’aurait achevé dans son lit.

La Mort de Tibère, Paul Laurens, 1864, Musée Paul-Dupuy, Toulouse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Mort de Tibère, par Jean-Paul Laurens, 1864, musée Paukl-Dupuy, Toulouse.

Lucrèce Borgia

Lucrèce Borgia est peut-être la jeune femme à la réputation la plus sulfureuse de la renaissance italienne: débauchée, incestueuse, empoisonneuse, rien ne l’aurait arrêtée. Une réputation à la hauteur de celle de son père le pape Alexandre VI et surtout de celle de son frère, le fameux César Borgia. Mais une réputation en grande partie imméritée.

Selon l’historiographie récente, Lucrèce, pour être une femme d’une grande beauté et surtout d’un caractère bien trempé – elle est un moment gouverneur de Spolète pour son père – est surtout un pion que les hommes de sa famille déplacent au gré de leurs intrigues et de leurs besoins politiques.

Ci-dessous les deux visages de Lucrèce Borgia :
Celui de la légende :

Portrait de femme traditionnellement considéré comme celui de Lucrèce Borgia, par Bartolomeo Veneto, c. 1520. Städel Museum de Francfort (Allemagne).

Celui de l’Histoire :

Le seul portrait confirmé de Lucrèce Borgia pour lequel elle a posé : Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare, attribué à Battista Dossi, c. 1519, National Gallery of Victoria (Australie).

Lucrèce est mariée une première fois à 13 ans en 1493. Mais, 4 ans plus tard, Alexandre VI, dont les intérêts diplomatiques ont changé, annule cette union au prétexte qu’elle n’a pas été consommée. Le mari de Lucrèce, Giovanni Sforza, est contraint de déclarer en public qu’il est impuissant. C’est faux, mais personne ne s’en soucie. Humilié, l’ex-mari lance la rumeur d’un inceste entre Lucrèce et son frère/son père.

Cela n’empêche pas la jeune femme d’être remariée l’année suivante à Alphonse d’Aragon. Ils ont un enfant, mais là encore les intérêts d’Alexandre VI changent. Comme on ne peut plus annuler le mariage, le mari est proprement assassiné en 1500. Lucrèce, qui semble attachée à ce deuxième conjoint, se brouille alors avec sa famille. Mais peut importe: concrètement, elle dépend toujours de son père. Elle n’a pas le choix, elle doit plier devant lui.

Dès 1501, elle est donc mariée pour la troisième fois. Vue sa réputation de « bâtarde dépravée », son père doit lui fournir une énorme dot. Mais cette fois, c’est la bonne. Alphonse Ier d’Este reste l’époux de Lucrèce jusqu’à ce qu’elle meure en 1519 après avoir donné naissance à une petite fille, leur huitième enfant.

Durant cette ultime union, Lucrèce s’intéresse peu à la politique, peut-être dégoutée par toutes les intrigues auxquelles elle a dû participer bon gré mal gré à Rome. Mais, cultivée – elle connaît le latin et le grec – elle soutient les artistes conformément à la tradition aristocratique de son époque.

À sa mort, sa réputation est en grande partie rétablie, mais c’est compter sans Victor Hugo. Sa pièce éponyme montre une Lucrèce Borgia aussi belle que cruelle, incestueuse et meurtrière sans remords. C’est fini, c’est cette image qui passera à la postérité.

Un portrait du Fayoum

Voici un des fameux « portraits du Fayoum », ces portraits funéraires réalisés en Égypte entre le 1er et le 4e siècle de notre ère par des artistes anonymes. Beaucoup furent découverts dans la région du Fayoum, au centre du pays, mais on en a retrouvé partout en Égypte.

Portrait du IIe siècle de notre ère, conservé au Louvre © 2009 Musée du Louvre / Georges Poncet

Ces portraits étaient posés sur les bustes des momies des défunts qu’ils représentaient (d’où leur forme). Leur réalisme est le résultat des influences helléniques et romaines très prégnantes à cette époque à Alexandrie et dans les autres grandes cités du Nil. On devait pouvoir identifier le défunt, son sexe, son âge… En revanche, l’appartenance ethnique ne semble pas avoir été un enjeu. Que la jeune morte que je vous montre ait été longtemps surnommée “l’Européenne” en dit plus sur les attentes des archéologues qui l’ont découverte que sur son origine. Dans tous les cas, celle-ci est toujours beaucoup moins marquée que le statut social de la momie.

Ici, la jeune femme “au teint de roses” porte de riches vêtements jaunes et rouges ainsi que des bijoux de prix : une épingle à cheveux en or, des boucles d’oreille avec des perles, une broche avec une grosse émeraude, la pierre la plus recherchée de l’époque. De plus, une feuille d’or, symbole d’immortalité, recouvre son cou. Quelle que soit l’origine de sa famille, elle était donc très riche et soucieuse de le montrer, même dans l’Au-delà.