Siestes et méridiennes de Millet et van Gogh

Pour continuer sur la canicule, puisqu’elle continue ces jours-ci pour beaucoup d’entre vous, voici deux des tableaux qui la symbolisent le mieux. Deux tableaux ou plutôt un et sa réinterprétation.

Voici :

  • La Méridienne ou Les quatre heures de la journée : midi réalisée au pastel par Jean-François Millet en 1866 et conservée au Museum of Fine Arts de Boston

  • La Méridienne ou La Sieste peinte par Vincent van Gogh en 1889-1890 et conservée au Musée d’Orsay.

Alors que Millet s’inspire des paysans de Barbizon qu’il voit tous les jours et de leurs travaux des champs, van Gogh s’inspire, lui, de Millet.

Il l’admire et le considère comme un des peintres des plus modernes de son époque. Pour ce tableau, il parle à son frère Théo de traduire dans la langue des couleurs les impressions de clair-obscur de Millet.

Ainsi, si van Gogh reprend quasiment à l’identique la composition de son prédécesseur, il fonde, lui, son tableau sur le contraste intense de bleus et de jaunes, des couleurs complémentaires. Finalement, ses paysans paraissent toujours agressés par la violente lumière de l’été dont rien ne vient les protéger au contraire de ceux de Millet qui semblent jouir dans l’ombre d’un sommeil apaisé.

Les Otages, de Jean-Paul Laurens

On croit souvent à tort qu’une image est toujours plus facile à comprendre et à interpréter qu’un texte. C’est ce qui a longtemps fait reléguer la Bande Dessinée, cet art de l’image par excellence, au rang de divertissement pour les enfants. Mais je ne vais pas vous parler de Bande Dessinée aujourd’hui mais d’un tableau à qui les critiques font raconter deux histoires différentes : Les Otages, peint Jean-Paul Laurens en 1896 et conservé au musée des Beaux-Arts de Lyon.

On y voit deux garçons en costumes moyenâgeux emprisonnés dans une salle ronde, l’air abattu. À part la porte fermée, on ne voit près d’eux qu’un trou rond et obscur, un puits sans margelle, vers lequel convergent les lignes du sol et le regard des prisonniers. On ne sait pas ce que vont devenir les deux enfants mais ça n’a, a priori, rien de réjouissant…

Les enfants de la Tour de Londres

À la fin du XIXe siècle, on interpréta ce tableau comme une représentation du jeune roi Édouard V d’Angleterre et de son frère, Richard de Shrewsbury, enfermés à la tour de Londres en 1483 par leur oncle, Richard de Gloucester, qui voulait usurper le pouvoir. On n’entendit plus jamais parler d’eux après leur enfermement et on pense qu’ils ont été simplement assassinés tous les deux.

L’idée de ce double meurtre d’enfants pour satisfaire une volonté de domination était extrêmement choquante en 1896 (et le reste de nos jours). Ici, on aurait l’impression que la porte du tableau va rester fermée et que les deux garçons vont finir par tomber dans le puits qui attire tous les regards.

Le puits et le pendule

Aujourd’hui, le spécialiste de l’Art contemporain, François de Vergnette, propose une autre interprétation de cette situation dramatique. Pour lui, le tableau serait, non une scène historique, mais une scène de genre inspirée par une nouvelle d’Edgar Allan Poe, Le Puits et le Pendule.

Dans ce récit, un prisonnier de l’Inquisition espagnole est enfermé dans une prison obscure avec un large puits en son centre dans lequel il manque de tomber en explorant sa cellule. Il s’évanouit en faisant cette découverte et se réveille ligoté dans la même pièce, mais avec un pendule, une grande lame, qui se balance au-dessus de lui en se rapprochant inexorablement. Heureusement, le prisonnier arrive à se détacher juste avant d’être découpé. Mais les murs de la pièce, rendus brûlants, commencent alors à se rapprocher de lui et à l’obliger à aller vers le puits. Il va tomber dedans quand un bras secourable le rattrape et le sauve in extremis. On espère qu’il en sera de même des enfants de Laurens, mais rien n’est moins sûr.

Le peintre, en tout cas, n’a jamais commenté son œuvre. Tout reste donc ouvert. Qui sait quelle nouvelle hypothèse on échafaudera dans 100 ans ?

Minute vintage: ce coquin de soleil

Puisque nous connaissons la première vague de chaleur de l’été, voici quelques conseils du magazine V du 27 juillet 1952 pour nous prémunir contre ce « coquin de soleil ».

Conseils pour les dames, évidemment :
– Profitez du soleil pour combattre votre cellulite
– Ne portez un maillot deux pièces que si vous êtes jeune avec un corps impeccable, mince, taille creusée, hanches étroites
– Si vous avez beaucoup de taches de rousseurs, consultez un médecin
– Épilez-vous sur la plage
– …

Photo ©Gallica

23 août 1942. Après une attaque massive de l’aviation nazie

Mystère de la recherche documentaire en ligne. En cherchant des images pour le cahier supplémentaire de l’édition premium du tome 16 d’Alix senator sur les Romains et la mer, je suis tombée sur cette étrange photo à la fois absurde et anxiogène, comme la vision d’une Alice au pays des merveilles post-apocalyptique.

Elle s’intitule 23 août 1942. Après une attaque massive de l’aviation nazie et a été prise par le photographe russe Emmanuel Noevich Evzerikhin. Elle représente la fontaine Danse ronde des enfants qui se trouvait sur la place de la gare de Stalingrad, fontaine créée par Olga Kudryavtseva en 1935.

La minute complotiste : et si l’Apocalypse, c’était pour demain

La mort du pape François est l’occasion de voir remonter à la surface du web un vieux texte ésotérique qui fait couler l’encre des férus d’eschatologie depuis 500 ans : la prophétie de saint Malachie. Selon elle, nous serions au bord de l’Apocalypse et il resterait à l’humanité tout au plus quelques mois ou un an.

Concrètement, la prophétie est un texte « découvert » à la fin du XVIe siècle par le moine Arnold Wion et attribué par celui-ci à Malachie d’Armagh, évêque d’Irlande dans la première moitié du XIIe siècle. Elle consiste en une liste de 112 devises censées représenter les papes depuis Célestin V (1113-1114) jusqu’au dernier successeur de saint Pierre.

Ce 112è pontife est le pape François. La devise qui lui est attribuée dans la prophétie est, traduite du latin, “Dans la dernière persécution de la sainte Église romaine siégera Pierre le Romain qui fera paître ses brebis à travers de nombreuses tribulations. Celles-ci terminées, la cité aux sept collines sera détruite, et le Juge redoutable jugera son peuple.” Bon, François ne s’appelle pas Pierre et il n’est pas né à Rome, mais on ne va pas chipoter. Et, après lui, ce sera donc le Jugement dernier, l’Apocalypse, la fin des temps…

Il va sans dire que cette prophétie a été très vite considérée comme un faux. Personne n’en a entendu parler entre sa soi-disant rédaction et sa découverte par Arnold Wion. De plus, les devises concernant des temps postérieurs à ce dernier sont souvent suffisamment floues pour pouvoir s’appliquer à tout le monde et à n’importe qui ou presque. Pourtant, la prophétie a connu un retour en grâce aux XIXe et XXe et je viens encore de voir plusieurs sites d’informations en faire mention plus ou moins sérieusement…

La Fiancée de Bélus

Voici La Fiancée de Bélus, un tableau peint par Henri Paul Motte en 1885, conservé au Musée d’Orsay.

On y voit une jeune fille nue, assise sur les genoux d’une inquiétante statue géante au cœur d’un sanctuaire obscur. Le visage de la divinité assise évoque celui des taureaux ailés de Khorsabad mais elle est censée être un dieu babylonien : Bel, Belus en latin, et, souvent, Baal pour nous.

En fait, « Baal » veut simplement dire « seigneur » et se retrouvait dans le nom de nombreux dieux de Mésopotamie : Baal Moloch, par exemple. Vous savez, le terrible dieu dévoreur d’enfants de la Salammbô de Gustave Flaubert qu’on rencontre aussi dans les pages du Spectre de Carthage ou du Tombeau étrusque de Jacques Martin. Ceux qui regardaient La Fiancée à la fin du XIXe siècle ne pouvaient manquer de penser en frémissant à ce terrible rituel et en imaginant que la jeune fille allait connaître, elle aussi, un sort funeste. Allait-elle mourir dévorée par les lions ?

Pourtant, les sacrifices d’enfants à Moloch n’ont peut-être jamais existé (en tout cas, on n’en a jamais trouvé de trace certaine jusqu’à maintenant et le débat reste vif). Le rituel qui a inspiré Henri Paul Motte est lui une pure invention : tous les soirs, on offrait à Bel une reine de beauté qui passait la nuit sur ses genoux. Le peintre pensait s’inspirer de l’historien grec Hérodote mais sa source était en fait une citation apocryphe.

On le voit, la Mésopotamie et les divinités orientales, mal connues au XIXe siècle, étaient alors de grands objets de fantasmes basés sur une image négative de l’Orient censé être moins civilisé que l’Occident, plus cruel et d’une sensualité plus débridée.

Bélizaire et les enfants Frey

En 1837, Frederick Frey, un banquier de la Nouvelle Orléans d’origine allemande, demanda au peintre Jacques Amans de faire le portrait de ses trois enfants Léontine, Elizabeth et Frederick Jr avec leur esclave, le jeune Bélizaire.

Celui-ci avait été acheté à l’âge de 6 ans avec sa mère, Sally, qui devint la cuisinière des Frey. On ignore qui était son père. En 1856, Bélizaire fut revendu pour 1 200 $ à un planteur de canne dont il devint, à son tour, le serviteur et le cuisinier. On perd sa trace cinq ans plus tard, au début de la guerre de Sécession. On ne sait s’il vit l’abolition de l’esclavage en 1865.

Bélizaire et les Enfants Frey

Si je vous en parle aujourd’hui, c’est, parce qu’au-delà de son destin, tragiquement représentatif de son époque, Bélizaire est à peu près le seul esclave, clairement identifié, dont le portrait soit parvenu jusqu’à nous. Et encore, cela faillit bien ne pas arriver.

Le tableau resta longtemps dans la famille de la femme de Frederick Frey. A une date inconnue, des repeints furent ajoutés sur le jeune esclave et le firent disparaître. Seule une ombre marquait encore sa silhouette. On ne sait pas si les propriétaires d’alors avaient honte que leurs parents aient été esclavagistes ou, au contraire, avait honte que leurs parents aient été représentés avec Bélizaire.

Quoi qu’il en soit, il fallut attendre 2005 pour que le tableau, revendus plusieurs fois, soit nettoyé et que la figure de l’adolescent réapparaisse. Il ne fut identifié qu’en 2021.

La toile se trouve à présent au Metropolitan Museum of Art qui lui rend toute son importance historique.

Errances documentaires

Préparer un projet de BD, surtout de BD historique, cela veut dire passer de nombreuses heures à chercher de la documentation. Parfois, cela permet de croiser des images amusantes ou étonnantes. je vous en mets quelques-unes ici que j’ai croisées cet été. Je les ai déjà montrées sur mes réseaux sociaux avec les petits textes joints.

Le Rat de bibliothèque par Carl Spitzweg, vers 1850, musée Georg-Schäfer en Allemagne

 

– En cherchant des exemple de temples funéraires pour Le Gardien du Nil, le nouvel Alix classique que je suis en train d’écrire pour Chrys Millien, je suis tombée sur cette restitution de 1910 du temple funéraire du pharaon Montouhotep II à Deir el Bahari, en Égypte.
Aujourd’hui, on ne croit plus qu’il y avait une pyramide au centre, plutôt une cour intérieure.
Mais ce monument m’a fait penser à la célèbre case du Sphinx d’or où Alix découvre le temple imaginaire d’Efaoud. Décidément, Jacques Martin savait s’inspirer des modèles antiques pour créer des bâtiments encore plus grandioses.

– Quand tu découvres que le bœuf musqué, ce féroce ennemi du loup arctique et de l’ours est… un mouton, enfin presque : un “capriné”, c’est-à-dire un cousin aberrant de la chèvre et du chamois, proche des souches primitives et adapté au climat arctique. Source : wikipedia, photo © Floris Smeets.

– Quand tu cherches des images de pyramides égyptiennes et que tu tombes sur des enfants allemands en train de jouer à construire une pyramide… de billets de banque.
On est en 1923 et le pays connaît une période d’hyperinflation. A titre d’exemple, le dollar, qui s’échangeait autour de 420 marks en juillet 1922, grimpe à 49 000 marks en janvier 1923. Pendant l’année 1923, le cours du dollar par rapport au papiermark augmente ainsi de 5,79 × 10 puissance 10.
Le prix au détail passe de l’indice 1 en 1913 à 750 000 000 000 en novembre 1923 !
Source photo : Three Lions/Getty Images. Source texte : wikipedia.

– En cherchant de la doc sur les dernières théories en cours sur le tombeau de Cléopâtre (jamais retrouvé), je suis tombée sur la momie d’une autre Cléopâtre que je ne résiste pas au plaisir de vous montrer.
Je n’en avais encore jamais vue d’aussi ornée et peinte. Il s’agit donc de la momie de Cléopâtre, une jeune fille de l’aristocratie thébaine du temps de Trajan (empereur de 98 à 117). Les inscriptions précisent qu’elle est morte à l’âge de 17 ans, 1 mois et 25 jours.
Même si son portrait est clairement d’inspiration greco-romaine, de nombreuses divinités égyptiennes ont été représentées sur son linceul : Nout, Isis, Nephtys, Anubis.
Elle est conservée au British Museum.

Soucoupes volantes ou assiettes à tarte ?

Affiche d’un film américain de 1956

C’est le 24 juin 1947 que Kenneth Arnold, un aviateur américain, dit avoir aperçu dans le ciel du mont Rainier (État de Washington), neuf objets volants plats, arrondis et très brillants.

Ils faisaient, selon lui, de 12 à 15 mètres de long et auraient volé à 1 800 km/h, voire plus. Le pilote précisa même sur les ondes de la radio KWRC, deux jours plus tard, que les objets se déplaçaient « comme des oies, formant une chaîne en diagonale comme s’ils étaient attachés l’un à l’autre, en un mouvement sautillant, analogue à celui d’une soucoupe ricochant sur l’eau ».

Mal ou trop rapidement interprétés, ces propos devinrent dans les rapports des journalistes : neufs objets qui ressemblaient à des « soucoupes volantes ». Une nouvelle mythologie était née.

Pendant son interview radiophonique Kenneth Arnold parla aussi d’ « assiettes à tarte » coupées au milieu avec un triangle convexe à l’arrière. Mais si l‘expression fit beaucoup rire à l’époque, elle n’eut pas le même succès que « soucoupes volantes ».

L’affaire fit grand bruit. Le mont Rainier vit très vite défiler une foule de touristes mêlée de journalistes, agents du FBI, du renseignement… Chacun se demandait alors si Kenneth Arnold avait vu des prototypes d’avions américains, russes (c’était le début de la guerre froide) ou bien si l’invasion extraterrestres commençait.

D’ailleurs, n’est-ce pas le 4 juillet 1947 qu’on raconte qu’un ovni s’est écrasé près de Roswell, au Nouveau Mexique ? Simple coïncidence ou ?

Le retour de l’éphéméride…

Ça fait un moment que je me demande si je ne vais pas recommencer mes petits statuts éphémérido-historiques. Ça me manque 🙂

En regardant ce qui pouvait concerner la fin du mois de juin (pas la fête de la musique, ça va tourner en boucle, vous en aurez vite assez), je suis tombée sur un étonnant daguerréotype pris pendant… les journées de juin 1848.

Du 22 au 26 juin de cette année-là, les ouvriers parisiens se rebellèrent contre la fermeture des ateliers nationaux destinés à donner du travail aux chômeurs de la capitale après la révolution de février de la même année. Ils n’obtinrent pas satisfaction et furent même durement réprimés.

Voici donc un rare témoignage de ces événements tragiques :
La barricade de la rue Saint-Maur-Popincourt, avant l’attaque des troupes du général Lamoricière, dimanche 25 juin 1848 à 7 h du matin, un daguerréotype pris par Charles-François Thibault et conservé au musée d’Orsay.