Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils

Comme c’est la fête des pères ce week-end et que je suis d’humeur caustique aujourd’hui, je vous montre ce terrible Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils peint par Peter Paul Rubens entre 1636 et 1638 et conservé au Musée du Prado.

Saturne, père de Jupiter, dévore un de ses fils par Peter Paul Rubens, vers 1636- 1638, Musée du Prado

C’est une représentation assez classique du mythe gréco-romain. Saturne, le Cronos des Grecs, était le roi des Titans. Il avait détrôné son père Uranus, le Ciel, qui régnait avant lui. Mais il savait qu’un jour, un de ses propres fils prendrait sa place.

Pour éviter cela, il ordonna à son épouse, Cybèle, de lui livrer tous ses enfants, dès leur naissance, pour qu’il les dévore. Elle obéit jusqu’au jour où elle accoucha du petit Jupiter. Elle réussit à le cacher et offrit à sa place à son horrible mari une pierre qu’il dévora aussitôt.

On connait la suite. Jupiter grandit. Il parvint effectivement à renverser son père et lui fit régurgiter ses frères et sœurs. Une nouvelle génération de dieux pouvait s’installer dans l’Olympe. Et son nouveau roi prit bien garde, lui, à n’engendrer aucun fils plus puissant ou plus malin que lui…

Et pour avoir une vision gréco-romaine plus sympathique de la paternité : Silène et Dionysos

Les oies du Capitole

La belle déesse Junon dont je vous parlais hier avait son temple sur la colline du Capitole à Rome, à côté de celui de Jupiter. Il était célèbre pour abriter des oiseaux consacrés à la déesse, pas des paons, mais des oies. Moins jolies mais plus utiles, elles sont restées célèbres car la légende veut qu’elles aient empêché leur ville de tomber totalement aux mains des Gaulois en 390 avant notre ère.

Ceux-ci occupaient alors le nord de l’Italie actuelle et avaient bien l’intention de prendre le reste. Leur expédition fut couronnée par la victoire de l’Allia au cours de laquelle ils écrasèrent l’armée romaine en juillet 390. Quelques jours plus tard, ils mettaient le siège devant Rome. Beaucoup de citoyens fuirent la ville. Ceux qui voulurent résister se réfugièrent sur le Capitole. Leur situation était désespérée. Ils manquaient de tout, y compris de nourriture. Pourtant, ils ne mangèrent pas les oies sacrées de Junon.

Paul-Henri Motte, Les Oies du Capitole, 1889.

Incapables de lancer eux-mêmes une contre-attaque, ils attendaient des renforts extérieurs. Une nuit, un soldat du général en exil Marcus Furius Camillus parvint à franchir les lignes gauloises pour leur apporter un message réconfortant : son chef avait rassemblé une nouvelle armée et s’apprêtait à marcher sur Rome pour la délivrer. Mais, Cominius Pontius, c’était le nom du soldat, avait réussi à monter au Capitole en nageant dans le Tibre et en escaladant des rochers accessibles. Des sentinelles gauloises repérèrent les traces humides qu’il avait laissé derrière lui et les envahisseurs décidèrent de suivre le même chemin, la nuit suivante, pour prendre les défenseurs romains par surprise.

Les oies sauvent le Capitole romain des envahisseurs gaulois, de ‘Le Bon Sens Populaire’, c.1900 · Alexandre Grellet

C’est là que les oies interviennent. Réveillées par les Gaulois, elles se mirent à caqueter frénétiquement et avertirent les soldats attaqués de ce qui se passait. Le vétéran Marcus Manlius réagit tout de suite et, avec ses hommes, repoussa dans le vide les premiers Gaulois imprudents. Les autres préfèrent se retirer. Camillus et son armée arrivèrent peu de temps après et libérèrent entièrement Rome.

Les habitants n’oublièrent pas ce qu’ils devaient aux oies de Junon. Tous les ans une cérémonie était organisée en leur honneur. On portait l’une d’elles en procession dans la ville en sacrifiant des chiens sur son passage, chiens qui avaient manqué, eux, à leur devoir de vigilance et n’avaient pas prévenu leurs maîtres de la menace nocturne.

Le Paon se plaignant à Junon par Gustave Moreau

Le nom du mois de « juin » viendrait de celui de la déesse Junon, selon le poète latin Ovide. C’est l’occasion pour moi de vous montrer cette aquarelle réalisée par Gustave Moreau en 1881 : Le Paon se plaignant à Junon.

© RMN /René-Gabriel Ojéda

Elle illustre de manière onirique la fable de La Fontaine éponyme (voir texte plus bas). La déesse est une jeune femme séduisante, loin de l’image d’épouse acariâtre de Jupiter qu’on trouve souvent dans la mythologie romaine. D’ailleurs, on a l’aigle du roi des dieux qui surveille discrètement Junon depuis le coin haut gauche du tableau. C’est lui qui est jaloux, pas elle. Junon est donc séduisante mais sans être sombre ou violente, sans être la « femme fatale », chère habituellement au mouvement symboliste, particulièrement misogyne dans un siècle qui l’est déjà beaucoup.

La déesse, au front orné d’une étoile comme toute divinité céleste qui se respecte, trône nonchalamment au-dessus de la terre qui apparaît entre les nuages. Un sceptre à la main, elle semble écouter ce que lui dit le paon qui fait la roue à côté d’elle. Cet oiseau lui traditionnellement associé. Toujours selon Ovide, il lui doit son magnifique plumage. Junon aurait pris les cent yeux du géant Argus, mort à son service, pour les disposer sur les ailes de son animal favori, tels des joyaux.

Mais, nous dit La Fontaine, ce cadeau ne suffit pas au paon qui vient se plaindre de chanter moins bien que le rossignol (qu’on aperçoit à droite, sous la main de la déesse). Vous le devinez, cela va énerver Junon qui menacera son favori de lui reprendre son cadeau.

La reine des dieux peut être gentille, mais il ne faut quand même pas exagérer…

Pour les curieux, voici la fable de La Fontaine illustrée par Gustave Moreau :

Le Paon se plaignait à Junon.
” Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m’avez fait don
Déplaît à toute la nature ;
Au lieu qu’un Rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu’éclatants,
Est lui seul l’honneur du printemps. ”
Junon répondit en colère :
” Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d’envier la voix du Rossignol,
Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies ;
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d’un lapidaire ?
Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire ?
Tout animal n’a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage :
Le Faucon est léger, l’Aigle plein de courage ;
Le Corbeau sert pour le présage ;
La Corneille avertit des malheurs à venir ;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre, ou bien pour te punir
Je t’ôterai ton plumage.

L’Etna, mythes et légendes

 

L’Etna, le volcan sicilien, a connu une spectaculaire éruption ce début de semaine. Il a craché une énorme colonne de fumée et de cendres, heureusement sans danger. Cette montagne est le plus haut volcan actif d’Europe et l’un des plus actifs du monde.

L’Etna en éruption, le 2 juin 2025 à Catane, en Sicile (Italie). © Salvatore Allegra/Anadolu/Afp)

Déjà dans l’Antiquité, il impressionnait beaucoup ceux qui l’approchaient. Une légende raconte que le philosophe Empédocle se serait jeté dans la lave bouillonnante pour y être totalement consumé et disparaître ainsi de la surface de la terre. Il n’aurait laissé que ses sandales sur le bord du cratère pour que chacun sache ce qui lui était arrivé.

Pallas (Athéna) et Encelade, plat attique à figures rouges, vers 525 av. J.-C., musée du Louvre.

Ceux qui préféraient les mythes à la philosophie, racontaient plutôt que l’origine de l’Etna se trouvait dans la punition infligée par Athéna et au géant Encelade. Celui-ci aurait promis d’aider les dieux dans leur combat contre les Titans alors que Zeus cherchait à détrôner son père, Cronos. Mais Encelade prit la fuite pendant la bataille et Athéna l’emprisonna sous la Sicile. Les tremblements de terre, fréquents dans l’île, sont dus à ses mouvements et les coulées de lave à son haleine enflammée.

Zeus dardant son foudre sur Typhon, hydrie à figures noires, v. 550 av. J.-C., Collection des Antiquités de l’État bavarois.

Il ne resta pas longtemps seul : Typhon, le monstre géant aux ailes d’aigle et aux cent têtes de dragons, le rejoignit bientôt sous l’Etna. Zeus l’aurait précipité là car il aurait voulu s’emparer de l’Olympe, épouser Héra, la femme du roi des dieux, et faire des autres divinités ses esclaves après avoir rétabli le pouvoir des Titans de Cronos tout juste vaincus.

Peut-être ces monstres sont-ils toujours là et mûrissent-ils ensemble leur terrible vengeance. Je trouve stimulant en tout cas d’imaginer qu’ils essaient parfois de s’évader, comme en 1669. Cette année-là, eut lieu l’éruption la plus importante des temps historiques. En février, des séismes firent trembler le flanc sud de l’Etna et le 11 mars s’y ouvrit une large fissure longue de 12 km d’où jaillit la lave. Elle engloutit plusieurs villages et détruisit même une partie de la ville de Catane, sans faire de victime.

Les Très Riches Heures de juin

Nous sommes début juin et j’ai décidé de renouer avec le plaisir de vous montrer le folio correspondant à ce mois dans les Très Riches Heures du duc de Berry.

Un livre d’heures est un ouvrage permettant à son propriétaire de connaître les différentes prières chrétiennes quotidiennes. Il comprend aussi souvent un calendrier avec tous les rites et cérémonies annuels.

Jean de Berry (1340 – 1416) commanda les très riches illustrations du sien aux frères Paul, Jean et Herman de Limbourg vers 1410-1411. Inachevé à leur mort à tous, il ne fut terminé que vers 1485-1486.

 

R.M.N. / R.-G. Ojéda

Le folio correspondant au mois de juin représente les travaux des champs de la fin du printemps près de Paris. Deux femmes mettent le foin en meulons pour le faire sécher avant son ramassage tandis que des hommes fauchent l’herbe un peu plus loin. Leur champ se trouve au bord de la Seine. Sur la rive en face, on découvre le magnifique palais de l’île de la Cité où demeure l’administration royale de l’époque avec, tout à droite la Sainte-Chapelle.

Si certains d’entre vous s’intéressent à ce qui se passe dans le ciel de la miniature, j’en ai parlé ici : les Très Riches Heures de septembre

Et, pour retrouver le reste des pages de ce site concernant les Très Riches Heures :

– les autres mois : janvier, février, mars, avril, mai, juillet, août, septembre, octobre, novembre , décembre

– une fête chrétienne illustrée dans le livre : l’Ascension

– Un étonnant “homme zodiacal”

La Patience, une allégorie

Le tome 16 d’Alix senator est bouclé et doit être imprimé ces jours-ci mais je n’aurai l’album entre les mains sans doute qu’à la fin de l’été, peu de temps avant sa sortie le 27 août. Encore trois mois à attendre ! Être autrice demande toujours beaucoup de patience. En me disant cela hier, j’ai repensé à L’Allegoria della Pazienza peinte vers 1552 par Giorgio Vasari.

Vous la voyez ci-dessous à gauche. Dans un paysage glacé, une jeune femme grelotte de froid à côté d’une horloge à eau qui érode lentement une pierre. On imagine le temps que l’opération va prendre. La pierre est d’ailleurs marquée de l’inscription « diuturna tolerantia », « patience inébranlable ».

C’est une citation latine sortant sans doute du traité De Inventione de l’orateur stoïcien romain Cicéron pour qui la patience est une composante essentielle du courage. La jeune femme pourrait partir, rien ne la retient. Pourtant elle reste là, à attendre, malgré l’inconfort de sa situation. Patience vient d’ailleurs du latin « patientia » souffrance, endurance.

Dans une autre version de l’allégorie, celle conservée au palais Pitti (ci-dessus à droite) et qui a peut-être été peinte par le même Vasari en 1551, la Patience est enchaînée à la pierre et c’est sa chaîne que l’eau dissout très lentement. Ses mains ne sont pas entravées, elle pourrait peut-être se libérer des fers sans attendre. Pourtant, elle ne le fait pas. Elle choisit là encore d’attendre. La patience pour Vasari et ses modèles antiques est avant tout calme et maîtrise de soi, deux grandes qualités du sage.

(Pour mes amis amateurs de SF, en poussant l’idée stoïcienne de patience à son extrême, on arrive à l’épreuve du gom jabbar subie par Paul Atréide censée prouver son humanité.)

Stonehenge par William Turner

Je vous montrais hier un extrait d’une page du prochain Alix senator se déroulant à Stonehenge. Cela m’a donné envie de vous montrer cette aquarelle du peintre romantique William Turner, intitulée tout simplement Stonehenge. Peinte vers 1827-28, elle appartient à la série des Picturesque Views in England and Wales et est conservée au Salisbury Museum.

On y voit le monument avant que ses pierres soient toutes redressées comme aujourd’hui. Au-dessus, un éclair blanc tombe d’un ciel de feu et d’ambre vers le centre des trilithes (1) comme si un dieu en colère voulait y frapper la terre. Cette impression de déchainement de violence est renforcée par le troupeau de moutons du premier plan. La plupart des animaux sont allongés sur le sol, comme morts foudroyés.

Ces motifs renvoient directement à la réputation de monument païen et de lieu de sacrifice qu’avait Stonehenge dans la première moitié du XIXe siècle. L’idée de préhistoire n’existait pas encore et pour Turner et ses contemporains, les constructions mégalithiques avaient été élevées par les peuples celtes pour que leurs druides y conduisent leurs terribles cérémonies sanglantes.

En fait, Stonehenge a été élevé entre 3000 et 1100 avant notre ère, du néolithique à l’âge du bronze donc, par des populations très mal connues et pour un usage encore plus mal connu. Mais ceci est une autre histoire.

(1)Trilithe : structure composée de trois pierres ayant un caractère monumental

Alix senator 18 : début du scénario à Jérusalem

Le tome 18 d’Alix Senator ayant été validé par le Comité Martin, je vais pouvoir avancer le scénario de l’album et Thierry Démarez se mettre au story-board. Une nouvelle aventure commence. Pour fêter ça, je vous montre ce magnifique plan idéalisé de la ville de Jérusalem où vont débuter les futures aventures du sénateur.

Bon, il ne date pas de l’Antiquité, mais du Moyen-Âge… Il a été réalisé vers 1170 à La Haye et ornait un psautier, un recueil de psaumes, des poèmes religieux présents dans la Bible.

Vous voyez qu’on n’a pas cherché à rendre la géographie réelle de la ville mais qu’on l’a dessinée de manière symbolique : c’est un cercle parcouru par d’une croix où se trouvent rassemblés de grands monuments ornés d’une croix eux aussi, c’est-à-dire les principaux lieux liés à la vie du Christ. On cherche ainsi à éliminer toutes traces d’une identité autre que chrétienne (sauf exception comme le Temple de Salomon). Juifs et musulmans ont quasiment disparu de la cité.

Il faut dire qu’on est en pleine période des croisades : la ville a été conquise par les chevaliers lors de la première croisade en 1099 et va rester la capitale d’un royaume chrétien jusqu’en 1187 au moment de sa prise par le célèbre sultan Saladin.

La Fiancée de Bélus

Voici La Fiancée de Bélus, un tableau peint par Henri Paul Motte en 1885, conservé au Musée d’Orsay.

On y voit une jeune fille nue, assise sur les genoux d’une inquiétante statue géante au cœur d’un sanctuaire obscur. Le visage de la divinité assise évoque celui des taureaux ailés de Khorsabad mais elle est censée être un dieu babylonien : Bel, Belus en latin, et, souvent, Baal pour nous.

En fait, « Baal » veut simplement dire « seigneur » et se retrouvait dans le nom de nombreux dieux de Mésopotamie : Baal Moloch, par exemple. Vous savez, le terrible dieu dévoreur d’enfants de la Salammbô de Gustave Flaubert qu’on rencontre aussi dans les pages du Spectre de Carthage ou du Tombeau étrusque de Jacques Martin. Ceux qui regardaient La Fiancée à la fin du XIXe siècle ne pouvaient manquer de penser en frémissant à ce terrible rituel et en imaginant que la jeune fille allait connaître, elle aussi, un sort funeste. Allait-elle mourir dévorée par les lions ?

Pourtant, les sacrifices d’enfants à Moloch n’ont peut-être jamais existé (en tout cas, on n’en a jamais trouvé de trace certaine jusqu’à maintenant et le débat reste vif). Le rituel qui a inspiré Henri Paul Motte est lui une pure invention : tous les soirs, on offrait à Bel une reine de beauté qui passait la nuit sur ses genoux. Le peintre pensait s’inspirer de l’historien grec Hérodote mais sa source était en fait une citation apocryphe.

On le voit, la Mésopotamie et les divinités orientales, mal connues au XIXe siècle, étaient alors de grands objets de fantasmes basés sur une image négative de l’Orient censé être moins civilisé que l’Occident, plus cruel et d’une sensualité plus débridée.

La Mort de Sénèque

J’ai eu la chance d’aller passer le long week-end du 15 août à Munich en famille. Denis et moi en avons profité pour aller visiter l’Alte Pinakothek de la ville. Elle possède une des plus belles collections de tableaux d’Europe et nous y avons (re)découvert de nombreuses merveilles.

Voici l’une d’elles : La Mort de Sénèque peinte par Pierre Paul Rubens en 1612.

Sénèque était un philosophe romain du premier siècle de notre ère. Il prônait une doctrine stoïcienne : le sage devait, entre autres, mettre l’éthique au cœur de ses réflexions, vivre en harmonie avec la Nature et accepter calmement son destin quel qu’il soit, sans se laisser déborder par les émotions comme la peur ou la colère. La vertu étant suffisante pour trouver le bonheur, le reste devenait accessoire, voire nocif.

Dans certains cas, Sénèque pensait pourtant que la vie ne valait plus d’être vécue : quand on était menacé d’être réduit en esclavage par exemple ou bien quand on sentait trop décliner son intellect. Alors, il prônait le suicide comme idéal moral et ultime moyen de libération du sage.

On le voit ainsi se suicider sur le tableau de Rubens : un esclave lui ouvre les veines à sa demande. Pourtant, Sénèque n’obéit pas alors à une injonction philosophique. Il meurt non par sa propre volonté mais parce que l’empereur Néron le lui a ordonné.

Pour être un philosophe majeur de son temps, Sénèque n’en était pas moins un homme de cour et d’État. Il avait été le précepteur du fils d’Agrippine et était resté ensuite son conseiller. Il en avait profité pour s’enrichir considérablement et vivre en grand aristocrate romain. Bref, il mena une vie bien en contradiction avec l’idéal qu’il prônait.

Hélas pour lui, il finit par être compromis dans la conjuration de Pison, un complot visant à assassiner Néron. On ne sait pas quel rôle exact le philosophe y joua, voire s’il y participa réellement ou fut simplement dénoncé à tort par un jaloux. Mais l’empereur n’hésita pas et lui ordonna de se suicider avec d’autres conjurés.

La Mort de Sénèque conservée à l’Alte Pinakothek (Munich)

Ceci posé, Rubens ne cherche pas à donner une vision réaliste de la mort de Sénèque, mais bien à montrer la fin idéale d’un philosophe. Les yeux levés vers le ciel, le stoïcien accepte sereinement son destin, que sa condamnation soit juste ou non.

Le peintre reprend d’ailleurs quelques éléments de la description de la mort de Sénèque par l’historien romain Tacite. Dans ses derniers instants, le philosophe aurait appelé des secrétaires pour leur dicter un discours. On ne se refait pas… Puis comme il était toujours en vie, il serait entré dans un bain chaud, ici réduit à un baquet, et aurait répandu de l’eau sur ses esclaves en disant « J’offre cette libation à Jupiter libérateur ». Une vraie dernière parole de stoïcien, dont on ne sait, bien sûr, si elle est vraie ou inventée.

La Mort de Sénèque, conservée au Musée du Prado (Madrid)

Rubens, qui réalisa une deuxième version de son tableau que je vous montre ci-dessus, eut aussi une autre source d’inspiration, esthétique celle-là : une statue romaine du deuxième siècle de notre ère, copie d’un original hellénistique. Elle avait été découverte à Rome au XVIe siècle et était très célèbre au temps du peintre. Aujourd’hui, plus qu’une représentation du suicide du philosophe, on pense qu’il s’agit d’une représentation d’un vieux pêcheur, un type de statuaire propre à l’époque hellénistique.

Mais c’est une autre histoire…

Statue conservée au Louvre, CC BY-SA 2.0