La mort de Cléopâtre

Survenue le 12 août 30 avant notre ère, la mort de Cléopâtre est sans doute un des événements les plus célèbres de l’Antiquité et un de ceux qui a le plus inspiré auteurs et artistes.

La Mort de Cléopâtre par Jean-André Rixens, 1874, Musée des Augustins, Toulouse.

Selon les historiens grecs et romains (qui ne l’aimaient pas), la reine se serait suicidée soit en utilisant une épingle à cheveux, soit en ingérant un de ses propres poisons, soit, plus romantique, en se faisant mordre par un aspic, c’est-à-dire un ouraeus, un cobra égyptien, symbole de royauté pharaonique. C’est, bien sûr, cette dernière version qui est devenue la plus célèbre. Aujourd’hui, on se demande si cette mort ne fut pas, en fait, un suicide forcé orchestré par le futur empereur Auguste.

En tout cas, c’est suite à sa défaite devant les troupes d’Octave et à leur invasion de l’Égypte que la reine met fin à ses jours, bientôt suivie par son amant, Marc Antoine. Cléopâtre échappe ainsi au triste sort réservé traditionnellement par les Romains aux vaincus : figurer enchaîner comme un esclave au triomphe de son vainqueur dans les rues de Rome.

C’est la fin de l’indépendance de l’Égypte qui devient une province de la République italienne finissante. Octave, débarrassé de ses derniers rivaux, va pouvoir devenir Auguste, le premier empereur romain.

D’autres articles sur Cléopâtre : Cléopâtre VII, reine d’Égypte et La mort de Cléopâtre dans Alix senator

La canicule, un temps de chienne

Les canicules se répètent mais les explications latines restent toujours valables.

« Canicule » vient donc du latin « Canis », le chien, ou plutôt de « Canicula », le nom donné par les Romains à l’étoile Sirius, la plus brillante de la constellation du Grand Chien.

« Canis Major, Lepus, Columba Noachi et Cela Sculptoris », planche 30 du Miroir d’Uranie, un jeu de cartes célestes accompagné d’un traité familier d’astronomie… de Jehoshaphat Aspin, édité à Londres en 1825.

En Italie, « Canicula » se lève et se couche avec le soleil entre le 24 juillet et le 24 août, la période le plus chaude de l’année et celle où surgissent le plus de… canicules. Savants et poètes s’en sont très vite rendus compte et ont associé l’étoile et les vagues de chaleur.

Pline l’Ancien nous dit dans son Histoire naturelle : « Quant à la Canicule, qui ignore que, se levant, elle allume l’ardeur du soleil ? Les effets de cet astre sont les plus puissants sur la terre : les mers bouillonnent à son lever, les vins fermentent dans les celliers, les eaux stagnantes s’agitent. Les chiens aussi sont plus exposés à la rage durant tout cet intervalle de temps ; cela n’est pas douteux. »
Horace parle, lui, dans ses Satires de « la rouge Canicule qui fera éclater les muettes statues ».

Que faire devant tant de malheurs annoncés ? Des sacrifices, bien sûr. Au début de l’été, lors de l’augurium canarium, on immolait donc des chiens roux à Canicula dans l’espoir qu’elle épargne moissons, hommes et animaux.

Quant à savoir si cela marchait…

Autre article sur le même thème : Des étés meurtriers

Tanis, une cité égyptienne

Tanis n’est pas seulement le nom de l’héroïne que j’ai créée avec Stéphane Perger et Denis Bajram, c’est aussi et surtout le nom grec d’une très ancienne cité de l’est du delta du Nil.

Vous en avez tous déjà entendu parler : c’est là qu’Indiana Jones découvre l’arche d’alliance dans le premier volet de ses aventures. Mais la ville n’a pas été redécouverte par les Nazis, mais bien avant : dès le premier quart du XVIIIe siècle. Elle est d’ailleurs étudiée depuis la fameuse expédition d’Égypte de Bonaparte.

Grand Sphinx de Tanis, Musée du Louvre, © Shonagon.

Elle a été fondée au XIe siècle avant notre ère alors que le pays du Nil était divisé entre la Haute Égypte contrôlée par les prêtres d’Amon, le dieu souverain à tête de bélier, et la Basse Égypte des rois de la XXIe dynastie. Ce sont eux qui fondèrent Tanis. La cité resta très active jusqu’à l’arrivée de Romains au Ier siècle avant notre ère et ne fut abandonnée que plusieurs siècles plus tard, peut-être après un grand tremblement de terre.

Tombeau du roi Osorkon II, ©Jon Bodsworth.

Tanis fut copiée sur Thèbe, la capitale de la Haute Égypte et consacrée à la triade divine Amon, Mout, sa compagne, et Khonsou, le dieu lunaire (si vous lisez des comics, oui, c’est bien ce Khonsou-là). Leurs immenses aires sacrées se situaient au nord de la cité qui s’étendait sur plus de 200 ha.

Elle était aussi par une belle nécropole royale où fut découvert le trésor royal le plus important après celui de Toutânkhamon.

Malheureusement, les bâtiments de pierre furent détruits à la fin de l’Antiquité. Ils servirent de carrières et beaucoup finirent dans les fours à chaux des artisans locaux. Seuls restent aujourd’hui les éléments de pierre dure (granit, quartzite…) : obélisque, colosses, stèles… qui gisent en un amoncellement chaotique sur le site.

© O. Louis Mazzatenta

Les oies du Capitole

La belle déesse Junon dont je vous parlais hier avait son temple sur la colline du Capitole à Rome, à côté de celui de Jupiter. Il était célèbre pour abriter des oiseaux consacrés à la déesse, pas des paons, mais des oies. Moins jolies mais plus utiles, elles sont restées célèbres car la légende veut qu’elles aient empêché leur ville de tomber totalement aux mains des Gaulois en 390 avant notre ère.

Ceux-ci occupaient alors le nord de l’Italie actuelle et avaient bien l’intention de prendre le reste. Leur expédition fut couronnée par la victoire de l’Allia au cours de laquelle ils écrasèrent l’armée romaine en juillet 390. Quelques jours plus tard, ils mettaient le siège devant Rome. Beaucoup de citoyens fuirent la ville. Ceux qui voulurent résister se réfugièrent sur le Capitole. Leur situation était désespérée. Ils manquaient de tout, y compris de nourriture. Pourtant, ils ne mangèrent pas les oies sacrées de Junon.

Paul-Henri Motte, Les Oies du Capitole, 1889.

Incapables de lancer eux-mêmes une contre-attaque, ils attendaient des renforts extérieurs. Une nuit, un soldat du général en exil Marcus Furius Camillus parvint à franchir les lignes gauloises pour leur apporter un message réconfortant : son chef avait rassemblé une nouvelle armée et s’apprêtait à marcher sur Rome pour la délivrer. Mais, Cominius Pontius, c’était le nom du soldat, avait réussi à monter au Capitole en nageant dans le Tibre et en escaladant des rochers accessibles. Des sentinelles gauloises repérèrent les traces humides qu’il avait laissé derrière lui et les envahisseurs décidèrent de suivre le même chemin, la nuit suivante, pour prendre les défenseurs romains par surprise.

Les oies sauvent le Capitole romain des envahisseurs gaulois, de ‘Le Bon Sens Populaire’, c.1900 · Alexandre Grellet

C’est là que les oies interviennent. Réveillées par les Gaulois, elles se mirent à caqueter frénétiquement et avertirent les soldats attaqués de ce qui se passait. Le vétéran Marcus Manlius réagit tout de suite et, avec ses hommes, repoussa dans le vide les premiers Gaulois imprudents. Les autres préfèrent se retirer. Camillus et son armée arrivèrent peu de temps après et libérèrent entièrement Rome.

Les habitants n’oublièrent pas ce qu’ils devaient aux oies de Junon. Tous les ans une cérémonie était organisée en leur honneur. On portait l’une d’elles en procession dans la ville en sacrifiant des chiens sur son passage, chiens qui avaient manqué, eux, à leur devoir de vigilance et n’avaient pas prévenu leurs maîtres de la menace nocturne.

Le Paon se plaignant à Junon par Gustave Moreau

Le nom du mois de « juin » viendrait de celui de la déesse Junon, selon le poète latin Ovide. C’est l’occasion pour moi de vous montrer cette aquarelle réalisée par Gustave Moreau en 1881 : Le Paon se plaignant à Junon.

© RMN /René-Gabriel Ojéda

Elle illustre de manière onirique la fable de La Fontaine éponyme (voir texte plus bas). La déesse est une jeune femme séduisante, loin de l’image d’épouse acariâtre de Jupiter qu’on trouve souvent dans la mythologie romaine. D’ailleurs, on a l’aigle du roi des dieux qui surveille discrètement Junon depuis le coin haut gauche du tableau. C’est lui qui est jaloux, pas elle. Junon est donc séduisante mais sans être sombre ou violente, sans être la « femme fatale », chère habituellement au mouvement symboliste, particulièrement misogyne dans un siècle qui l’est déjà beaucoup.

La déesse, au front orné d’une étoile comme toute divinité céleste qui se respecte, trône nonchalamment au-dessus de la terre qui apparaît entre les nuages. Un sceptre à la main, elle semble écouter ce que lui dit le paon qui fait la roue à côté d’elle. Cet oiseau lui traditionnellement associé. Toujours selon Ovide, il lui doit son magnifique plumage. Junon aurait pris les cent yeux du géant Argus, mort à son service, pour les disposer sur les ailes de son animal favori, tels des joyaux.

Mais, nous dit La Fontaine, ce cadeau ne suffit pas au paon qui vient se plaindre de chanter moins bien que le rossignol (qu’on aperçoit à droite, sous la main de la déesse). Vous le devinez, cela va énerver Junon qui menacera son favori de lui reprendre son cadeau.

La reine des dieux peut être gentille, mais il ne faut quand même pas exagérer…

Pour les curieux, voici la fable de La Fontaine illustrée par Gustave Moreau :

Le Paon se plaignait à Junon.
” Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m’avez fait don
Déplaît à toute la nature ;
Au lieu qu’un Rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu’éclatants,
Est lui seul l’honneur du printemps. ”
Junon répondit en colère :
” Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d’envier la voix du Rossignol,
Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies ;
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d’un lapidaire ?
Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire ?
Tout animal n’a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage :
Le Faucon est léger, l’Aigle plein de courage ;
Le Corbeau sert pour le présage ;
La Corneille avertit des malheurs à venir ;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre, ou bien pour te punir
Je t’ôterai ton plumage.

L’Etna, mythes et légendes

 

L’Etna, le volcan sicilien, a connu une spectaculaire éruption ce début de semaine. Il a craché une énorme colonne de fumée et de cendres, heureusement sans danger. Cette montagne est le plus haut volcan actif d’Europe et l’un des plus actifs du monde.

L’Etna en éruption, le 2 juin 2025 à Catane, en Sicile (Italie). © Salvatore Allegra/Anadolu/Afp)

Déjà dans l’Antiquité, il impressionnait beaucoup ceux qui l’approchaient. Une légende raconte que le philosophe Empédocle se serait jeté dans la lave bouillonnante pour y être totalement consumé et disparaître ainsi de la surface de la terre. Il n’aurait laissé que ses sandales sur le bord du cratère pour que chacun sache ce qui lui était arrivé.

Pallas (Athéna) et Encelade, plat attique à figures rouges, vers 525 av. J.-C., musée du Louvre.

Ceux qui préféraient les mythes à la philosophie, racontaient plutôt que l’origine de l’Etna se trouvait dans la punition infligée par Athéna et au géant Encelade. Celui-ci aurait promis d’aider les dieux dans leur combat contre les Titans alors que Zeus cherchait à détrôner son père, Cronos. Mais Encelade prit la fuite pendant la bataille et Athéna l’emprisonna sous la Sicile. Les tremblements de terre, fréquents dans l’île, sont dus à ses mouvements et les coulées de lave à son haleine enflammée.

Zeus dardant son foudre sur Typhon, hydrie à figures noires, v. 550 av. J.-C., Collection des Antiquités de l’État bavarois.

Il ne resta pas longtemps seul : Typhon, le monstre géant aux ailes d’aigle et aux cent têtes de dragons, le rejoignit bientôt sous l’Etna. Zeus l’aurait précipité là car il aurait voulu s’emparer de l’Olympe, épouser Héra, la femme du roi des dieux, et faire des autres divinités ses esclaves après avoir rétabli le pouvoir des Titans de Cronos tout juste vaincus.

Peut-être ces monstres sont-ils toujours là et mûrissent-ils ensemble leur terrible vengeance. Je trouve stimulant en tout cas d’imaginer qu’ils essaient parfois de s’évader, comme en 1669. Cette année-là, eut lieu l’éruption la plus importante des temps historiques. En février, des séismes firent trembler le flanc sud de l’Etna et le 11 mars s’y ouvrit une large fissure longue de 12 km d’où jaillit la lave. Elle engloutit plusieurs villages et détruisit même une partie de la ville de Catane, sans faire de victime.

Alix senator 16 premium : “Les Romains et la mer”

C’est mardi, c’est scenarii… et pages historiques.
Parallèlement aux récits que je vous concocte, j’écris en ce moment le cahier premium qui va accompagner le tome 16 d’ Alix Senator, L’Atlantide : Les Romains et le mer, mythes et réalités. Vous pourrez retrouver l’édition premium en même temps que la classique fin août prochain.

En attendant, je vous montre cette belle mosaïque retrouvée à Sousses, dans l’est de la Tunisie actuelle. Elle date du milieu du IIe siècle de notre ère et représente le grand dieu Océan.

Seule sa tête est visible car son corps est constitué de l’immensité des eaux qui entourent les terres des hommes, eaux qui s’écoulent aussi de sa bouche. Sa barbe et ses cheveux sont hirsutes car Océan n’est pas un dieu civilisé: il fait plutôt partie de la Nature sauvage. D’ailleurs, de nombreuses pattes de homards sortent de sa tête, comme des cornes ornent les cranes de certains dieux terrestres. Il a gardé un côté animal indompté, comme le savent bien tous les marins qui osent, dans l’Antiquité, s’aventurer dans ses vagues souvent très dangereuses.

La Fiancée de Bélus

Voici La Fiancée de Bélus, un tableau peint par Henri Paul Motte en 1885, conservé au Musée d’Orsay.

On y voit une jeune fille nue, assise sur les genoux d’une inquiétante statue géante au cœur d’un sanctuaire obscur. Le visage de la divinité assise évoque celui des taureaux ailés de Khorsabad mais elle est censée être un dieu babylonien : Bel, Belus en latin, et, souvent, Baal pour nous.

En fait, « Baal » veut simplement dire « seigneur » et se retrouvait dans le nom de nombreux dieux de Mésopotamie : Baal Moloch, par exemple. Vous savez, le terrible dieu dévoreur d’enfants de la Salammbô de Gustave Flaubert qu’on rencontre aussi dans les pages du Spectre de Carthage ou du Tombeau étrusque de Jacques Martin. Ceux qui regardaient La Fiancée à la fin du XIXe siècle ne pouvaient manquer de penser en frémissant à ce terrible rituel et en imaginant que la jeune fille allait connaître, elle aussi, un sort funeste. Allait-elle mourir dévorée par les lions ?

Pourtant, les sacrifices d’enfants à Moloch n’ont peut-être jamais existé (en tout cas, on n’en a jamais trouvé de trace certaine jusqu’à maintenant et le débat reste vif). Le rituel qui a inspiré Henri Paul Motte est lui une pure invention : tous les soirs, on offrait à Bel une reine de beauté qui passait la nuit sur ses genoux. Le peintre pensait s’inspirer de l’historien grec Hérodote mais sa source était en fait une citation apocryphe.

On le voit, la Mésopotamie et les divinités orientales, mal connues au XIXe siècle, étaient alors de grands objets de fantasmes basés sur une image négative de l’Orient censé être moins civilisé que l’Occident, plus cruel et d’une sensualité plus débridée.

Horus le sauveur… légionnaire

Joie de la divagation sur internet, en partant du mot « dragon », je suis tombée sur cette curiosité ce soir : un reste de fenêtre du IV siècle de notre ère représentant le dieu égyptien Horus costumé en légionnaire et harponnant un crocodile, conservé au Louvre.

Ce thème du harponneur est courant en Égypte pour représenter la lutte du Bien contre le Mal. On représentait ainsi souvent le même Horus, en costume traditionnel, harponnant son oncle-ennemi Seth sous la forme d’un hippopotame. On montrait aussi ce même dieu Seth harponnant le serpent Apophis, personnification du chaos cherchant à anéantir la création divine. Ici l’originalité vient du costume romain du dieu qui témoigne du rapprochement progressif des traditions égyptiennes et romaines après la conquête d’Alexandrie par Auguste.

Au IVe siècle, l’Égypte commence à être largement christianisée. Il est possible que l’image d’un dieu tuant un monstre avec son harpon lance ait influencé les nouvelles représentations de saints, comme saint Georges terrassant le dragon (hypothèse de Christiane Desroches Noblecourt).

Et voilà, j’ai retrouvé mon « dragon »

La Mort de Sénèque

J’ai eu la chance d’aller passer le long week-end du 15 août à Munich en famille. Denis et moi en avons profité pour aller visiter l’Alte Pinakothek de la ville. Elle possède une des plus belles collections de tableaux d’Europe et nous y avons (re)découvert de nombreuses merveilles.

Voici l’une d’elles : La Mort de Sénèque peinte par Pierre Paul Rubens en 1612.

Sénèque était un philosophe romain du premier siècle de notre ère. Il prônait une doctrine stoïcienne : le sage devait, entre autres, mettre l’éthique au cœur de ses réflexions, vivre en harmonie avec la Nature et accepter calmement son destin quel qu’il soit, sans se laisser déborder par les émotions comme la peur ou la colère. La vertu étant suffisante pour trouver le bonheur, le reste devenait accessoire, voire nocif.

Dans certains cas, Sénèque pensait pourtant que la vie ne valait plus d’être vécue : quand on était menacé d’être réduit en esclavage par exemple ou bien quand on sentait trop décliner son intellect. Alors, il prônait le suicide comme idéal moral et ultime moyen de libération du sage.

On le voit ainsi se suicider sur le tableau de Rubens : un esclave lui ouvre les veines à sa demande. Pourtant, Sénèque n’obéit pas alors à une injonction philosophique. Il meurt non par sa propre volonté mais parce que l’empereur Néron le lui a ordonné.

Pour être un philosophe majeur de son temps, Sénèque n’en était pas moins un homme de cour et d’État. Il avait été le précepteur du fils d’Agrippine et était resté ensuite son conseiller. Il en avait profité pour s’enrichir considérablement et vivre en grand aristocrate romain. Bref, il mena une vie bien en contradiction avec l’idéal qu’il prônait.

Hélas pour lui, il finit par être compromis dans la conjuration de Pison, un complot visant à assassiner Néron. On ne sait pas quel rôle exact le philosophe y joua, voire s’il y participa réellement ou fut simplement dénoncé à tort par un jaloux. Mais l’empereur n’hésita pas et lui ordonna de se suicider avec d’autres conjurés.

La Mort de Sénèque conservée à l’Alte Pinakothek (Munich)

Ceci posé, Rubens ne cherche pas à donner une vision réaliste de la mort de Sénèque, mais bien à montrer la fin idéale d’un philosophe. Les yeux levés vers le ciel, le stoïcien accepte sereinement son destin, que sa condamnation soit juste ou non.

Le peintre reprend d’ailleurs quelques éléments de la description de la mort de Sénèque par l’historien romain Tacite. Dans ses derniers instants, le philosophe aurait appelé des secrétaires pour leur dicter un discours. On ne se refait pas… Puis comme il était toujours en vie, il serait entré dans un bain chaud, ici réduit à un baquet, et aurait répandu de l’eau sur ses esclaves en disant « J’offre cette libation à Jupiter libérateur ». Une vraie dernière parole de stoïcien, dont on ne sait, bien sûr, si elle est vraie ou inventée.

La Mort de Sénèque, conservée au Musée du Prado (Madrid)

Rubens, qui réalisa une deuxième version de son tableau que je vous montre ci-dessus, eut aussi une autre source d’inspiration, esthétique celle-là : une statue romaine du deuxième siècle de notre ère, copie d’un original hellénistique. Elle avait été découverte à Rome au XVIe siècle et était très célèbre au temps du peintre. Aujourd’hui, plus qu’une représentation du suicide du philosophe, on pense qu’il s’agit d’une représentation d’un vieux pêcheur, un type de statuaire propre à l’époque hellénistique.

Mais c’est une autre histoire…

Statue conservée au Louvre, CC BY-SA 2.0