L’esclave de Vélasquez

Diego Vélasquez (mort à Madrid le 6 août 1660), ce n’est pas que les Ménines ou le portrait du pape Innocent X. C’est plus de 150 œuvres répertoriées et sans doute beaucoup d’autres perdues. En choisir une seule à vous montrer n’était donc pas chose facile.

Finalement, j’ai pris ce (magnifique) portrait réalisé en 1649 à Rome. Vélasquez y avait été envoyé par le roi d’Espagne Philippe IV pour acheter des peintures pour lui. Il n’était pas venu seul. Il avait emmené avec lui son esclave maure Juan de Pareja. Ce dernier l’aidait dans son atelier sans doute depuis au moins une dizaine d’années. Il lui servit ici de modèle. Le tableau fut exposé dès mars 1650 dans le portique du Panthéon. Il remporta un énorme succès.
Peut-être est-ce cela qui incita Vélasquez a affranchir Juan de Pareja la même année, avec tout de même comme condition qu’il reste à son service quatre années supplémentaires. Ce temps révolu, l’ancien esclave se mit à son compte comme peintre indépendant et fit une belle carrière jusqu’à sa mort en 1670.

Ci-dessous donc : portrait de Juan de Pareja, 1649, Metropolitan Museum of Art, New York.

Du danger d’être un “athée évadé” en 1546

Il était très risqué d’être imprimeur au XVIe siècle. Rien qu’en 1546, 4 furent étranglés puis brûlés place Maubert à Paris. Parmi eux se détache Etienne Dolet exécuté le 3 août 1546, le jour de son trente-cinquième anniversaire.

Issu d’une famille bien en cour – on le dit même fils illégitime du roi François Ier -, il passe son enfance à Orléans avant d’aller étudier à Paris puis à Padoue, Venise et Toulouse. Il est banni de cette dernière université en 1534 après de violentes disputes avec d’autres étudiants. Ce n’est pas la dernière fois que son fort tempérament lui vaudra des ennuis.

En 1535, il prend la défense de l’humanisme paganisant attaqué par Erasme dans son dialogue satirique « Ciceronianus ». L’écrivain des Pays-Bas se moque des auteurs fascinés par l’Antiquité classique au point d’en oublier d’être chrétiens. Dolet lui répond également sous la forme d’un dialogue satirique et le dédie à François Ier.

Le roi semble apprécier : il accorde à Dolet pour 10 ans le privilège d’imprimer tout ouvrage en latin, grec, italien ou français, de sa plume ou sous sa supervision. Mieux, François Ier accorde au décidément bien violent Dolet, sa grâce pour l’homicide accidentel d’un peintre commis le 31 décembre 1536.

L’écrivain va alors s’installer à Lyon, place forte de l’imprimerie à cette époque. Il édite des textes jugés majeurs aujourd’hui comme ceux de Galien, Rabelais, Marot ainsi que le Nouveau Testament en latin mais aussi… des livres jugés hérétiques par l’Église. C’était prendre trop de risques: bien que ses propres opinions religieuses ne soient pas connues avec certitude, Dolet est arrêté pour « athéisme » en 1542. Heureusement, l’évêque de Tulle qui est aussi le directeur du Collège royal – le futur Collège de France – et le maître de la librairie du roi, intervient en sa faveur. Dolet sort de prison au bout de 15 mois.

Mais ce n’était pas son genre d’en rester là, ni celui de l’Église : il récidive… et il est à nouveau emprisonné en 1544. Il s’évade alors, parvient à gagner le Piémont… mais revient à Lyon pour imprimer des lettres en appelant à la justice royale. Il est encore arrêté et la faculté de théologie de Paris le juge comme « athée évadé ». Abandonné par François Ier, Dolet est finalement supplicié place Maubert. Il est étranglé puis brûlé avec ses livres !

Depuis, le malheureux Etienne Dolet n’a pas été oublié : il est devenu un martyr de la liberté de pensée et d’expression. Sa statue élevée en 1889 à l’endroit de son exécution était le point de rassemblement des anti-cléricaux et des libres-penseurs jusqu’à sa destruction en 1942 par l’administration pétainiste. La même année son buste qui trônait à Orléans est également enlevé et fondu. Ce qu’il représentait n’était pas exactement en accord avec l’idéologie du régime de Vichy.
Aujourd’hui, l’imprimeur est de retour dans de nombreuses villes. S’il n’a pas de nouvelle statue place Maubert, il a des rues, des collèges et même une station de métro à son nom.

Ci-dessous, la statue de 1889, place Maubert. Dolet est représenté mains liées, une presse d’imprimerie sous les pieds.

Bœuf écorché

Ce 2 août, c’est l’anniversaire de Saskia van Uylenburgh (1612 – 1642), l’épouse et le modèle du peintre Rembrandt. J’ai failli vous montrer son portrait en Flore… Mais je vous avoue que j’ai été beaucoup plus marquée par une autre œuvre du maître d’Amsterdam : “le Bœuf écorché” peint en 1655 et aujourd’hui conservé au Louvre.
Rembrandt a réalisé très peu de natures mortes. Celle-ci fait près d’un mètre de haut. Elle est encore beaucoup spectaculaire « en vrai » qu’en photo. Aujourd’hui encore, je ne sais pas trop si elle me plaît ou si elle me dégoute un peu.

Jolly roger

Pour en revenir aux “têtes de morts” 🙂

Le pavillon du célèbre pirate Barbe Noire (Edward Teach, 1680-1718) : un diable tenant dans une main une lance qui transperce un cœur, et dans l’autre, selon les versions, un sablier pour marquer la fuite du temps ou un verre pour trinquer avec le Diable.

De quoi alimenter bien des fictions romantiques.

Saint Pancrace

Laissez-moi vous présenter mon saint de glace préféré : saint Pancrace de Rome que l’on fête aujourd’hui.
Selon la tradition chrétienne, il fut décapité à 14 ans pendant les persécutions lancées par l’empereur Dioclétien au début du IVe siècle de notre ère. A la fin du IXe, il devint la patron des chevaliers en Allemagne.
Mais c’est surtout pour sa statue-reliquaire que j’apprécie Pancrace. Le squelette est enchâssé dans une armure baroque très théâtrale datant de 1777. Elle fut réalisée en argent rehaussé d’or par un orfèvre d’Augbourg, Franz Högger, sur ordre de la ville suisse de Wil où se trouvaient les reliques.

 

Vanité des vanités

Je suis très « tête de mort » ces temps-ci. Rassurez-vous, ce n’est pas parce que je déprime…Voici donc une Vanité de Philippe de Champaigne, réalisée vers 1671 et conservée au musée de Tessé au Mans (France).

Pour les curieux, une « vanité » est une peinture allégorique du caractère transitoire et vain de la vie humaine. Son nom vient du vers de l’Ecclésiaste dans l’Ancien Testament : « Vanité des vanités, tout est vanité ». En d’autres termes, la vie humaine est vaine : vide et inutile. Seule compte, la vie éternelle après la mort.
On trouve bien sûr des représentations de la mort dès l’Antiquité polythéiste mais les vanités proprement dites apparaissent au XVIIe siècle à un moment où Réforme et Contre-Réforme s’affrontent au sein de la Chrétienté et où on se pose plus que jamais des questions sur le sens de la vie. Philippe de Champaigne est lui-même un peintre proche des jansénistes, un mouvement religieux catholique rigoriste.
Ici, la tête de mort est simplement accompagnée d’un sablier et d’une fleur en train de faner, symboles du temps qui passe trop vite. Mais sur d’autres tableaux, on trouve aussi des livres, des bijoux, des armes ou encore du vin et des jeux pour illustrer la vanité du savoir, de la richesse, du pouvoir ou des plaisirs, toutes choses s’effaçant d’un coup devant la toute puissance de la mort.

La Mort de Léonard de Vinci

Léonard de Vinci est mort à Amboise le 2 mai 1519. La tradition qui veut qu’il se serait éteint dans les bras du roi François 1er est sans doute fausse. Le souverain était à ce moment-là à Saint-Germain-en-Laye où il signa plusieurs ordonnances (lois valables dans tout le royaume) la même semaine.

Il n’en reste pas moins que le roi était fasciné par le peintre italien. C’est lui qui le fit venir en France en 1515 pour le prendre à son service comme « « premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi » avec une pension de mille écus par an.
Déjà malade à cette époque, Léonard de Vinci vit sa santé décliner rapidement. En 1517, il développa une paralysie partielle de la main droite et mourut seulement deux ans plus tard.

Comme j’aime bien taquiner mes amis lecteurs de ce mur, je vous propose aujourd’hui « La Mort de Léonard de Vinci » peint par Jean-Auguste-Dominique Ingres en 1818 et conservé au Petit Palais à Paris.
© Wikimedia Commons, DP

La Nuit de Walpurgis

La fameuse toile que vous pouvez voir ci-dessous est « Le Sabbat des sorcières » de Francisco de Goya, peinte entre 1797 et 1798 et conservée au Musée Lazaro Galdiano de Madrid.

Le Diable apparaît sous la forme d’un grand bouc noir, une thématique classique de la tradition basque. En effet, le titre original de cette toile est « Aquelarre », du basque « akelarre » (aker = bouc et larre = lande), qui fait de la lande du bouc le lieu du sabbat par excellence. Celui-ci a déjà commencé: les sorciers ont apporté au diable son plat favori : des cadavres de petits enfants. Il va les dévorer avant de lancer l’orgie rituelle. A moins que ce ne soit déjà fait. On a souvent interprété la femme de dos au premier plan comme une allusion aux fellations et aux autres « pratiques contre-nature » que le démon attendait de ses adeptes.

Je ne vous parle pas de ce tableau aujourd’hui par hasard. Au moins depuis la fin du Moyen-Âge, les traditions populaires d’Europe du Nord et de France font de la nuit du 31 avril au 1er mai, la date d’un des grands sabbats annuels des sorcières. On l’appelait « nuit de Walpurgis » du nom d’une sainte anglaise (Walburge) venue évangéliser les Germains au VIIIe siècle de notre ère. Cette légende est sans doute l’écho déformé par des siècles de christianisme de célébrations antérieures à cette religion. Elles devaient marquer le passage de l’hiver à la belle saison. On allumait alors de grands feux avant de sacrifier aux anciens dieux pour qu’ils réveillent la nature et ramènent le printemps.

Plus tard, « La nuit de Walpurgis » devint un motif littéraire classique des récits fantastiques: on la retrouve dans le « Faust » de Goethe puis chez Paul Verlaine, Bram Stoker ou H. P. Lovecraft. Elle donna aussi son nom à de nombreux morceaux de musique, pièces de théâtre, films ou jeux vidéo.

Élisabeth Vigée Le Brun

Le projet Princesses que je mène avec Maud Amoretti m’amène en ce moment à beaucoup regarder les peintures du XVIIIe siècle. Cela vous a déjà donné droit à Adélaïde Labille-Guiard, il y a quelques jours. Aujourd’hui, c’est le tour de Louise Élisabeth Vigée Le Brun (16 avril 1755 – 30 mars 1842).

Vivant à la même époque, elles connurent toutes deux les mêmes succès et les mêmes vicissitudes de carrière (scandales, campagnes de calomnies… mais aussi entrée à l’Académie royale de peinture et de sculpture). Au siècle suivant, le style d’Élisabeth Vigée Le Brun fut jugé souvent « mièvre » par les historiens de l’art qui lui reprochaient surtout d’être restée « royaliste » jusqu’à sa mort.
Elle fut aussi jugée très sévèrement par les féministes telles Simone de Beauvoir : « Au lieu de se donner généreusement à l’œuvre qu’elle entreprend, la femme la considère comme un simple ornement de sa vie ; le livre et le tableau ne sont qu’un intermédiaire inessentiel, lui permettant d’exhiber cette essentielle réalité : sa propre personne. Aussi est-ce sa personne qui est le principal — parfois l’unique — sujet qui l’intéresse : Mme Vigée-Lebrun ne se lasse pas de fixer sur ses toiles sa souriante maternité » (Le deuxième sexe, 1949)

Aujourd’hui, si la question de la maternité comme identité féminine et du narcissisme dans son œuvre demeure, les féministes la replacent davantage dans le contexte historique qui la vu naître et s’intéressent à sa place de « femme artiste » dans une société où l’étude Beaux Arts est quasi interdite aux femmes, où les liens clientélistes sont essentiels et où la réputation personnelle et les relations avec les collègues masculins conditionnent toute une carrière.


Ci-dessous :

– Autoportrait de 1790, Florence, Corridor de Vasari.

– La Reine « en gaule », 1783, Collection of the prince Ludwig von Hessen und bei Rhein, Wolfsgarten Castle, Allemagne.
Ce portrait fit scandale à l’époque. La « gaule » est une étoffe qui ne sert qu’aux sous-vêtements. Ici, la reine est donc « en chemise » (et non « en robe »). On n’est pas loin de l’obscénité.

– Autoportrait avec sa fille Julie, huile sur panneau, 1786, Le Louvre.
Ce tableau fit également scandale à l’époque : on voit les dents d’Elisabeth. Ça c’est mal, c’est très mal : seuls les fous ou les ivrognes sourient ainsi… Les gens comme il faut sourient en serrant les lèvres.