Le Diable et saint Augustin

Jamais on n’a représenté le diable avec autant d’imagination qu’au Moyen-Âge, enfin à la fin de celui-ci.

Dans cette peinture de Michael Pacher, il est vert, sa couleur traditionnelle, et vraiment repoussant. Un choix d’apparence curieux quand on sait qu’il essaie de tenter saint Augustin, l’évêque d’Hippone (dans l’Algérie actuelle), un des Pères de l’Église, ces théologiens dont les écrits ont contribué à fixer la doctrine chrétienne.

« Le diable présentant à saint Augustin le livre des vices », panneau peint de la fin du XVe siècle de Michael Pacher, extrait de son retable des Pères de l’Église. Conservé à l’Alte Pinakothek (Munich). Photographie de BPK/RMN-GRAND PALAIS

La Raie de Jean Chardin

Jean Siméon Chardin, La raie, vers 1725-26. Morceau de réception à l’académie royale de peinture. Musée du Louvre.

” Maintenant venez jusqu’à la cuisine dont l’entrée est sévèrement gardée par la tribu des vases de toute grandeur, serviteurs capables et fidèles, race laborieuse et belle. Sur la table les couteaux actifs, qui vont droit au but, reposent dans une oisiveté menaçante et inoffensive.

Mais au-dessus de vous un monstre étrange, frais encore comme la mer où il ondoya, une raie est suspendue, dont la vue mêle au désir de la gourmandise le charme curieux du calme ou des tempêtes de la mer dont elle fut le formidable témoin, faisant passer comme un souvenir du Jardin des Plantes à travers un goût de restaurant. Elle est ouverte et vous pouvez admirer la beauté de son architecture délicate et vaste, teintée de sang rouge, de nerfs bleus et de muscles blancs, comme la nef d’une cathédrale polychrome.

À côté, dans l’abandon de leur mort, des poissons sont tordus en une courbe raide et désespérée, à plat ventre, les yeux sortis.

Puis un chat, superposant à cet aquarium la vie obscure de ses formes plus savantes et plus conscientes, l’éclat de ses yeux posé sur la raie, fait manœuvrer avec une hâte lente le velours de ses pattes sur les huîtres soulevées et décèle à la fois la prudence de son caractère, la convoitise de son palais et la témérité de son entreprise.

L’œil qui aime à jouer avec les autres sens et à reconstituer à l’aide de quelques couleurs, plus que tout un passé, tout un avenir, sent déjà la fraîcheur des huîtres qui vont mouiller les pattes du chat et on entend déjà, au moment où l’entassement précaire de ces nacres fragiles fléchira sous le poids du chat, le petit cri de leur fêlure et le tonnerre de leur chute. ”

Marcel Proust, “Rembrandt et Chardin” 1895.

Mithra et le dieu léontocéphale

Le mithriacisme était une religion à mystères d’origine perse qui se propagea dans l’Empire romain à partir du 1er siècle avant notre ère et attieignit son apogée durant le 3e siècle avant de disparaitre avec la montée du christianisme. Il était réservé aux hommes et attirait tout particulièrement les soldats.

Il faut dire que la principale image qu’il nous a laissée était particulièrement virile et violente : c’est le jeune dieu Mithra, un symbole solaire, en train d’égorger un taureau.

Mithra sacrifiant le Taureau (100-200 apr. J.-C.), collection Borghese, Galerie du Temps au Louvre-Lens. © Serge Ottaviani

À côté de lui, on trouve parfois des représentations d’un dieu léontocéphale, c’est-à-dire à tête de lion. C’est lui aussi une divinité cosmique, un dieu du Temps assimilé par les Romains à leur Chronos/Saturne. Il éclaire le monde de sa torche tout en étant debout sur le globe terrestre et entouré des six spires d’un serpent qui représentent le cours du soleil le long de l’écliptique, entre chaque solstice.

Sur la statue ci-dessous, quatre signes du zodiaques sont aussi sculptés sur le dieu. Le Bélier et la Balance sur sa poitrine et le Cancer et le Capricorne sur ses cuisses. Ce sont les signes qui marquent le début de chaque saison.

Le dieu a la gueule ouverte pour impressionner ses fidèles : comme le Temps, il dévore tout, il est le Vorace par excellence.

Léontocéphale provenant de la Villa Albani, 2e siècle de notre ère, Musées du Vatican, Rome. © Vassil

Un trilobite

© DanielCD

Ce mignon petit animal marin, perminéralisé et trouvé près de Saint Pétersbourg, vivait il y a environ 450 millions d’années.

Après sa mort, les espaces vides situés dans son corps se sont remplis d’eau riche en minéraux. Ces minéraux sont passés à l’état solide avant que la chair ait eu le temps de se décomposer, d’où les nombreux détails qui apparaissent sur le fossile.

Louise Michel

Demain 18 mars, nous commémorerons les 150 ans du début de la Commune de Paris. De très nombreuses femmes y participèrent. La plus connue reste toujours Louise Michel.

Louise Michel, photo prise à la prison des Chantiers de Versailles en 1871, Musée Carnavalet. Elle est ici désignée comme incendiaire et pas encore comme “pétroleuse”, nom que donneront leurs détracteurs aux Communardes.

Depuis 1871, Louise Michel est devenue une sorte de mythe: un idéal féminin radical pour la gauche et une furie hystérique et dénaturée pour la droite. Derrière ces légendes, se cache une personnalité aussi forte qu’iconoclaste.

Institutrice pendant le Second Empire, Louise Michel expérimenta de nouvelle méthodes pédagogiques tout en se proclamant républicaine et en fréquentant les cercles les plus actifs de l’opposition à l’empereur.

Durant la Commune, elle participa au Comité de vigilance des femmes de Montmartre et présida souvent les réunions du Club de la Révolution. Elle écrivit aussi des articles pour Le Cri du peuple, le journal de Jules Vallès et combattit même aux côtés du 61e bataillon de la Garde Nationale.

Arrêtée durant la Semaine sanglante, elle fut condamnée à la déportation et resta sept ans en Nouvelle-Calédonie. Elle y étudia les Kanaks en ethnographe. Elle traduisit leurs mythes et leurs poèmes. Pendant la révolte de 1878, elle n’hésita pas à choisir le parti des colonisés.

Libérée, elle commença à voyager en France et jusqu’en Algérie où elle tint de nombreux discours mettant en avant ses convictions féministes, anarchistes et anti-impérialistes. Elle les diffusa aussi par de nombreux romans, pièces de théâtre ou poèmes engagés.

La mort de Tibère

Le 16 mars 37 de notre ère, l’empereur Tibère mourut à Misène en Campanie. Vivant depuis longtemps isolé dans l’île de Capri, il désirait rejoindre Rome pour y rendre son dernier soupir, mais il n’en eut pas le temps. Comme il était très impopulaire, le peuple se réjouit beaucoup de sa mort et surtout de l’avénement de son successeur, un tout jeune empereur qui promettait beaucoup : Caligula.

Beaucoup de rumeurs coururent à l’époque sur les raisons de la mort de Tibère et les historiens émirent ensuite des hypothèses encore plus nombreuses. Évidemment, l’empereur, âgé de 77 ans, est peut-être tout simplement mort de vieillesse ou de maladie. Mais un tel tyran méritait bien une fin un peu plus cruelle et romanesque.

Suétone raconte que Caligula le fit lentement empoisonner, voire le fit mourir de faim, à moins qu’il n’ait donné l’ordre de l’étouffer avec un coussin. Pour Dion Cassius, c’est le jeune homme lui-même qui étouffa son grand-oncle. Il faut dire que le vieillard avait fait mourir de faim la mère de Caligula et avait peut-être aussi trempé dans le décès prématuré de son père.

Jean-Paul Laurens nous montre ci-dessous encore une autre version de la mort de Tibère, celle de Tacite. Selon lui, c’est son préfet du prétoire, un certain Macron, qui l’aurait achevé dans son lit.

La Mort de Tibère, Paul Laurens, 1864, Musée Paul-Dupuy, Toulouse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Mort de Tibère, par Jean-Paul Laurens, 1864, musée Paukl-Dupuy, Toulouse.

César et Brutus dans le prochain Alix

Pour commémorer dignement les ides de mars, le 15 mars dans le calendrier romain, voici un nouvel extrait du prochain Alix que je scénarise avec César et Brutus en guest stars.
Vous retrouverez la totalité de leur rencontre dans L’Œil du Minotaure le 10 novembre prochain.

Lucrèce Borgia

Lucrèce Borgia est peut-être la jeune femme à la réputation la plus sulfureuse de la renaissance italienne: débauchée, incestueuse, empoisonneuse, rien ne l’aurait arrêtée. Une réputation à la hauteur de celle de son père le pape Alexandre VI et surtout de celle de son frère, le fameux César Borgia. Mais une réputation en grande partie imméritée.

Selon l’historiographie récente, Lucrèce, pour être une femme d’une grande beauté et surtout d’un caractère bien trempé – elle est un moment gouverneur de Spolète pour son père – est surtout un pion que les hommes de sa famille déplacent au gré de leurs intrigues et de leurs besoins politiques.

Ci-dessous les deux visages de Lucrèce Borgia :
Celui de la légende :

Portrait de femme traditionnellement considéré comme celui de Lucrèce Borgia, par Bartolomeo Veneto, c. 1520. Städel Museum de Francfort (Allemagne).

Celui de l’Histoire :

Le seul portrait confirmé de Lucrèce Borgia pour lequel elle a posé : Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare, attribué à Battista Dossi, c. 1519, National Gallery of Victoria (Australie).

Lucrèce est mariée une première fois à 13 ans en 1493. Mais, 4 ans plus tard, Alexandre VI, dont les intérêts diplomatiques ont changé, annule cette union au prétexte qu’elle n’a pas été consommée. Le mari de Lucrèce, Giovanni Sforza, est contraint de déclarer en public qu’il est impuissant. C’est faux, mais personne ne s’en soucie. Humilié, l’ex-mari lance la rumeur d’un inceste entre Lucrèce et son frère/son père.

Cela n’empêche pas la jeune femme d’être remariée l’année suivante à Alphonse d’Aragon. Ils ont un enfant, mais là encore les intérêts d’Alexandre VI changent. Comme on ne peut plus annuler le mariage, le mari est proprement assassiné en 1500. Lucrèce, qui semble attachée à ce deuxième conjoint, se brouille alors avec sa famille. Mais peut importe: concrètement, elle dépend toujours de son père. Elle n’a pas le choix, elle doit plier devant lui.

Dès 1501, elle est donc mariée pour la troisième fois. Vue sa réputation de « bâtarde dépravée », son père doit lui fournir une énorme dot. Mais cette fois, c’est la bonne. Alphonse Ier d’Este reste l’époux de Lucrèce jusqu’à ce qu’elle meure en 1519 après avoir donné naissance à une petite fille, leur huitième enfant.

Durant cette ultime union, Lucrèce s’intéresse peu à la politique, peut-être dégoutée par toutes les intrigues auxquelles elle a dû participer bon gré mal gré à Rome. Mais, cultivée – elle connaît le latin et le grec – elle soutient les artistes conformément à la tradition aristocratique de son époque.

À sa mort, sa réputation est en grande partie rétablie, mais c’est compter sans Victor Hugo. Sa pièce éponyme montre une Lucrèce Borgia aussi belle que cruelle, incestueuse et meurtrière sans remords. C’est fini, c’est cette image qui passera à la postérité.

Ute de Naumbourg

Visage de Ute de Naumbourg. Photo © Linsengericht

Cette belle statue orne la cathédrale de Naumbourg en Allemagne depuis le XIVe siècle. Elle représente Uta de Ballenstedt, une grande aristocrate du XIe siècle, fondatrice du sanctuaire avec son époux, le margrave de Misnie.

Statues en pied d’Ekkehard II de Misnie et de son épouse Ute de Ballenstedt. Photo © Linsengericht

Peut-être son manteau ou son attitude vous disent-ils quelque chose ? C’est normal : Walt Disney s’en est inspiré pour créer la silhouette de la méchante reine Grimhilde de Blanche Neige et les 7 nains. Pour le visage cependant, il s’inspira plutôt de celui de l’actrice Joan Crawford. Celui de la margravine devait être trop serein et angélique pour devenir celui d’une marâtre assoiffée de sang.

© Disney planet

Un portrait du Fayoum

Voici un des fameux « portraits du Fayoum », ces portraits funéraires réalisés en Égypte entre le 1er et le 4e siècle de notre ère par des artistes anonymes. Beaucoup furent découverts dans la région du Fayoum, au centre du pays, mais on en a retrouvé partout en Égypte.

Portrait du IIe siècle de notre ère, conservé au Louvre © 2009 Musée du Louvre / Georges Poncet

Ces portraits étaient posés sur les bustes des momies des défunts qu’ils représentaient (d’où leur forme). Leur réalisme est le résultat des influences helléniques et romaines très prégnantes à cette époque à Alexandrie et dans les autres grandes cités du Nil. On devait pouvoir identifier le défunt, son sexe, son âge… En revanche, l’appartenance ethnique ne semble pas avoir été un enjeu. Que la jeune morte que je vous montre ait été longtemps surnommée “l’Européenne” en dit plus sur les attentes des archéologues qui l’ont découverte que sur son origine. Dans tous les cas, celle-ci est toujours beaucoup moins marquée que le statut social de la momie.

Ici, la jeune femme “au teint de roses” porte de riches vêtements jaunes et rouges ainsi que des bijoux de prix : une épingle à cheveux en or, des boucles d’oreille avec des perles, une broche avec une grosse émeraude, la pierre la plus recherchée de l’époque. De plus, une feuille d’or, symbole d’immortalité, recouvre son cou. Quelle que soit l’origine de sa famille, elle était donc très riche et soucieuse de le montrer, même dans l’Au-delà.