À quoi bon un livre sans images, ni dialogues ?

Le 4 juillet 1865, était publié “Alice’s Adventures in Wonderland”, le conte de Charles Lutwidge Dodgson dit Lewis Carroll, professeur de mathématiques à Oxford.

J’imagine que vous en connaissez tous les principaux épisodes : la poursuite du lapin blanc, la rencontre avec Tweedledee et Tweedledum, la découverte du chat du Cheshire, le thé avec le chapelier toqué et le lièvre de Mars, la fuite devant la reine de cœur…
Chacun d’eux mériterait son statut sur cette page. Mais c’est autre chose qui m’a donné l’envie d’en faire un aujourd’hui.

Voici la première phrase de Carroll sur laquelle je suis tombée en faisant ma petite recherche : « À quoi bon un livre sans images, ni dialogues ? ». C’est Alice qui se pose la question en regardant sa sœur lire un de ces livres bien austères. Cela pourrait être la devise de l’auteur ou de l’amateur de Bande Dessinée. Lewis Carroll en aurait sans doute été un grand si elle avait existé à son époque.

On sait que les images étaient très importantes pour lui. Photographe amateur, il a lui-même choisi l’illustrateur de son Alice : John Tenniel alors connu pour ses caricatures dans le magazine Punch. Ses dessins donnent d’ailleurs un côté assez inquiétant au conte. Avec lui, si l’absurde garde le côté merveilleux qui sera mis en avant plus tard par Disney, il tombe aussi parfois dans une sorte de folie bien angoissante.


– Autoportrait de Lewis Carroll, 1855
– Portrait d’Alice Littell par Lewis Carroll. C’est pour elle qu’il improvisa la première version du conte en 1862, lors d’une promenade en barque.
– Illustrations de John Tenniel pour les Aventures d’Alice

Pratt aurait eu 92 ans

Corto Maltese : “Raspoutine ! Tu es fou !”
Raspoutine : “Mais non !… Aujourd’hui, je me suis caché pendant que tu parlais et puis je me suis blessé pour te faire croire qu’il m’était arrivé quelque chose. J’ai voulu t’offrir une émotion, Corto, parce que je t’aime bien… C’est pour toi que je l’ai fait. Dieu seul sait ce que c’est moche de vivre dans un monde sans aventure, sans fantaisie.”

Corto Maltese en Sibérie, 1979, Hugo Pratt (15 juin 1927 – 20 août 1995)

Il faut sauver le soldat série

Courrier des lecteur de Casemate de ce mois-ci :

D’abord, je m’interroge sur le fait qu’une série puisse passer de 19 000 exemplaires au tome 1 à seulement 10 000 au tome 2. Est-ce que la moitié des ventes du tome 1 ont été faites sur un malentendu ? Est-ce que la maison d’édition a mis des moyens marketing sur le tome 1 et s’est contenté de voir venir au tome 2 ? Démarrer à près de 20 000 exemplaires aujourd’hui est tellement miraculeux que je n’arrive pas à comprendre que tout le monde ne se soit pas battu pour maintenir voire augmenter ce chiffre au tome 2. (Après il y a sans doute des explications plus complexes qu’Yves Schlirf pourrait donner, d’autant plus que je sais bien que c’est un des éditeurs les plus volontaristes pour défendre la Bande Dessinée grand public.)

Ensuite, Yves dit tout haut ce que la plupart des auteurs savent, la Bande Dessinée réaliste qui se vend à moins de 25 000 exemplaires n’est économiquement pas viable pour les auteurs. C’est pourtant le cas de la très grande majorité des sorties. Le travail d’une “grande richesse” dont il parle s’accompagne, hélas, aujourd’hui d’une grande pauvreté, comme nous l’avions constaté dans notre étude des États Généraux de la Bande Dessinée.

En connectant ces deux informations, il y a de quoi s’inquiéter sur l’avenir de cette forme de Bande Dessinée qu’est la série grand public. Elle est condamnée au succès pour pouvoir exister et continuer, mais on peut se demander si elle est encore assez soutenue en terme d’investissements financiers et humains par le système éditorial actuel.

Pour conclure, quid d’une Bande Dessinée sans ces grandes séries ? Croit-on vraiment que son économie se contentera de quelques spectaculaires succès de romans graphiques de temps en temps ?

Malgré un emploi du temps trop chargé je me suis donc réengagée pour le prix de la série pour le festival d’Angoulême, parce que j’aime autant en lire qu’en faire, mais aussi parce que je pense que si ce secteur de l’édition venait à s’effondrer, ce serait toute la Bande Dessinée qui serait menacée dans sa survie économique. Il faut sauver le soldat grand public, il faut sauver le soldat série.

Les 92 ans d’Uderzo

Et si à côté de rendre hommage aux morts de la veille, on pensait aussi à ceux qui sont encore vivants ?

Aujourd’hui, Albert Uderzo fête ses 92 ans. Né le 25 avril 1927 à Fismes dans la Marne de parents italiens, il est naturalisé français en 1934.

Après avoir découvert la Bande Dessinée dans « Mickey Mouse », il publie son premier dessin dès 1941. Après une expérience décevante dans le dessin animé, il retourne à l’illustration et publie dans différents journaux, de l’édition jeunesse à la grande presse.

En 1950, il rencontre les scénaristes Jean-Michel Charlier et surtout René Goscinny avec qui il travaillera pour l’essentiel de sa carrière. Leur première œuvre commune est une rubrique de savoir-vivre pour un magasine féminin. Les années qui suivent sont assez difficiles et ce n’est qu’en 1958 qu’ils peuvent publier leur première série importante dans le journal Tintin: « Oumpah-Pah ».

Mais, dès l’année suivante, est lancé le magasine Pilote pour lequel Uderzo dessine deux séries : « Tanguy et Laverdure » scénarisée par Charlier et « Astérix » écrite par Goscinny. Il mène donc de front trois séries à cette époque. Mais, avec le succès croissant d’ « Astérix » et toutes les contraintes qui vont avec, Uderzo doit abandonner « Oumpah-Pah » en 1962, puis « Tanguy et Laverdure » en 1968.
En 1974, il crée, toujours avec Goscinny, les studios Idéfix pour adapter en dessin animé les aventures de leurs héros.

Goscinny meurt trois ans plus tard. Profondément bouleversé, Uderzo poursuit néanmoins seul « Astérix » avec plus ou moins de bonheur. Les années 90 sont marquées par une longue procédure judiciaire contre Dargaud portant sur les recettes de la vente des albums à l’étranger. L’éditeur est finalement condamné et Uderzo et les ayant-droits de Goscinny récupèrent les droits des 24 premiers albums de la série. Plus tard, vers les années 2000, commence un autre conflit qui oppose cette fois Uderzo à sa fille et son gendre.

En 2013, il a passé la main à Jean-Yves Ferri (scénario) et Didier Conrad (dessin) pour « Astérix ». Mais il continue depuis à superviser leurs albums.

Ci-dessous :
– Uderzo et Goscinny
– Astérix le Gaulois, page 1.

 

Columbo et les dangers de la dédicace

Revu hier, “The Conspirators”, un épisode de la saison 7 de “Columbo” de 1978 (une série que je redécouvre avec beaucoup de plaisir en ce moment).
Joe Devlin, un poète irlandais et néanmoins pourvoyeur de fusils des terroristes de l’IRA, y exécute un marchand d’armes… Oubliant au passage qu’il lui a dédicacé la veille son autobiographie. C’est grâce à ces quelques lignes que le lieutenant Columbo va retrouver sa piste… Vous devinez la suite.

Alors, chers collègues, évitez de tuer vos lecteurs après les séances de dédicace, faites-le plutôt avant. On ne sait jamais qui peut mener l’enquête.

Ci-dessous :
– La fameuse dédicace et le lieutenant Columbo en train de regarder un livre d’art érotique (!) dans le même épisode.

Festival d’Angoulême : création d’un Comité de sélection série

Bonne nouvelle pour les séries : grâce à Stephane Beaujean, le directeur artistique du FIBD, elles ont enfin leur Comité de sélection dédié au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême , comme les albums jeunesses ont le leur.

J’en ferai bien sûr partie et avec d’autant plus de plaisir que, durant les trois années pendant lesquelles j’ai été au comité de sélection générale, j’ai regretté que les séries ne puissent y tenir plus de place et y avoir plus de visibilité.

Voilà qui est réparé.
Pour être plus précise, seront concernées : les « séries de tout horizon, franco-belge, comics et manga. Une série est définie par un corpus constitué au minimum de 3 albums, et ne limite pas au champ du mainstream ou divertissement. Cette sélection comprendra entre 6 et 10 titres en fonction des années et les sagas très longues seront traitées dans cette sélection. »

Bref, ça valait le coup de militer un peu pour nos chères séries, qui sont une particularité forte de la Bande Dessinée depuis ses origines. Ça valait le coup… même si je ne pourrai pas prétendre à un prix en tant que membre du comité. On n’est jamais aussi mal servi que par soi-même 😀

Fresque Tintin

Souvenir, souvenir… Je viens de tomber sur une page FB sur les fresques BD de Bruxelles. Denis et moi avons longtemps habité rue de l’Étuve dans la résidence Légende.
Nous avons vu peindre la fresque Tintin sur le mur perpendiculaire. Mon bureau était juste derrière la fenêtre à côté de Milou. J’ai écrit plusieurs années avec sa truffe sous les yeux.

A l’époque, il n’y avait pas un magasin de vêtements au rez-de-chaussée mais un bar où se réunissait les Amis du Manneken Pis et où il y avait partout des copies de la statue avec plein d’habits différents. C’était très amusant. Je regrette de ne pas avoir pris des photos maintenant que ça a disparu.

Sanguinaria

Tous les 24 mars, avaient lieu les Sanguinaria, la fête d’Attis, un dieu oriental très important dans Alix Senator. Ce jeune prince était le modèle des galles, les prêtres de Cybèle dont Khephren, le fils d’Alix et d’Enak devient bien malgré lui l’avatar.

Les deux pages ci-dessous vous raconte son mythe.
Sa fête est d’abord une journée de deuil pendant laquelle les fidèles jeûnent et les galles se flagellent et se tailladent les bras. C’est aussi ce jour-là que ceux qui veulent les rejoindre participent aux rituels d’auto-castration.

Mais, dès le lendemain, tous retrouvent leur joie et célèbrent par des chants et des banquets la résurrection d’Attis aux côtés de la Grande Déesse. Le jeune homme est avant tout une divinité de la végétation qui meurt et renaît symboliquement à chaque début de printemps.

Au 1er siècle de notre ère, son culte à mystère devint l’un des plus importants de l’empire romain.

Pour en savoir plus sur Attis, Cybèle, les galles, vous pouvez aller sur le site Alix senator ou, pour ceux qui l’ont, lire le cahier premium du tome 5 sur les divinités orientales.

Le printemps sacré

Aujourd’hui, c’est le premier jour du printemps. C’est l’occasion de vous parler d’une coutume antique aussi brutale qu’étonnante : le printemps sacré, « ver sacrum » en latin.

Il s’agit d’une pratique expiatoire attestée en Italie et parmi les peuples indo-européens au début de l’Antiquité. Quand un désastre militaire ou une famine advenait, on cherchait à se concilier les dieux en leur consacrant tout ce qui naissait dans l’année : les récoltes, les animaux mais aussi les enfants. Ils devenaient « sacrés » et n’avaient plus leur place dans la communauté. Arrivés à l’âge adulte, ils étaient donc chassés de leur cité et devaient aller ailleurs fonder la leur.

Cette mesure brutale en évitait peut-être une autre encore pire : leur sacrifice aux dieux. Sans doute aussi était elle une forme de régulation démographique, même si cet aspect n’est pas mis en avant. Le géographe Strabon parle ainsi de jeunes Sabins consacrés à Mars qui leur envoya un taureau pour les guider vers le sud. Là, après avoir vaincu et chassé la population locale, ils sacrifièrent l’animal au dieu et devinrent le peuple samnite.

Ces rites très violents perdurèrent ensuite à Rome sous une forme atténuée. En 218 avant notre ère, après la défaite de Trasimène contre Carthage, on consacra tout aux dieux sauf les chiens, les chevaux et bien sûr les enfants.

Ci-dessous : le sacrifice d’un taureau dans Alix senator, tome 3.