Le 16 mars 37 de notre ère, l’empereur Tibère mourut à Misène en Campanie. Vivant depuis longtemps isolé dans l’île de Capri, il désirait rejoindre Rome pour y rendre son dernier soupir, mais il n’en eut pas le temps. Comme il était très impopulaire, le peuple se réjouit beaucoup de sa mort et surtout de l’avénement de son successeur, un tout jeune empereur qui promettait beaucoup : Caligula.
Beaucoup de rumeurs coururent à l’époque sur les raisons de la mort de Tibère et les historiens émirent ensuite des hypothèses encore plus nombreuses. Évidemment, l’empereur, âgé de 77 ans, est peut-être tout simplement mort de vieillesse ou de maladie. Mais un tel tyran méritait bien une fin un peu plus cruelle et romanesque.
Suétone raconte que Caligula le fit lentement empoisonner, voire le fit mourir de faim, à moins qu’il n’ait donné l’ordre de l’étouffer avec un coussin. Pour Dion Cassius, c’est le jeune homme lui-même qui étouffa son grand-oncle. Il faut dire que le vieillard avait fait mourir de faim la mère de Caligula et avait peut-être aussi trempé dans le décès prématuré de son père.
Jean-Paul Laurens nous montre ci-dessous encore une autre version de la mort de Tibère, celle de Tacite. Selon lui, c’est son préfet du prétoire, un certain Macron, qui l’aurait achevé dans son lit.
La Mort de Tibère, Paul Laurens, 1864, Musée Paul-Dupuy, Toulouse.
La Mort de Tibère, par Jean-Paul Laurens, 1864, musée Paukl-Dupuy, Toulouse.
Lucrèce Borgia est peut-être la jeune femme à la réputation la plus sulfureuse de la renaissance italienne: débauchée, incestueuse, empoisonneuse, rien ne l’aurait arrêtée. Une réputation à la hauteur de celle de son père le pape Alexandre VI et surtout de celle de son frère, le fameux César Borgia. Mais une réputation en grande partie imméritée.
Selon l’historiographie récente, Lucrèce, pour être une femme d’une grande beauté et surtout d’un caractère bien trempé – elle est un moment gouverneur de Spolète pour son père – est surtout un pion que les hommes de sa famille déplacent au gré de leurs intrigues et de leurs besoins politiques.
Ci-dessous les deux visages de Lucrèce Borgia :
Celui de la légende :
Portrait de femme traditionnellement considéré comme celui de Lucrèce Borgia, par Bartolomeo Veneto, c. 1520. Städel Museum de Francfort (Allemagne).
Celui de l’Histoire :
Le seul portrait confirmé de Lucrèce Borgia pour lequel elle a posé : Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare, attribué à Battista Dossi, c. 1519, National Gallery of Victoria (Australie).
Lucrèce est mariée une première fois à 13 ans en 1493. Mais, 4 ans plus tard, Alexandre VI, dont les intérêts diplomatiques ont changé, annule cette union au prétexte qu’elle n’a pas été consommée. Le mari de Lucrèce, Giovanni Sforza, est contraint de déclarer en public qu’il est impuissant. C’est faux, mais personne ne s’en soucie. Humilié, l’ex-mari lance la rumeur d’un inceste entre Lucrèce et son frère/son père.
Cela n’empêche pas la jeune femme d’être remariée l’année suivante à Alphonse d’Aragon. Ils ont un enfant, mais là encore les intérêts d’Alexandre VI changent. Comme on ne peut plus annuler le mariage, le mari est proprement assassiné en 1500. Lucrèce, qui semble attachée à ce deuxième conjoint, se brouille alors avec sa famille. Mais peut importe: concrètement, elle dépend toujours de son père. Elle n’a pas le choix, elle doit plier devant lui.
Dès 1501, elle est donc mariée pour la troisième fois. Vue sa réputation de « bâtarde dépravée », son père doit lui fournir une énorme dot. Mais cette fois, c’est la bonne. Alphonse Ier d’Este reste l’époux de Lucrèce jusqu’à ce qu’elle meure en 1519 après avoir donné naissance à une petite fille, leur huitième enfant.
Durant cette ultime union, Lucrèce s’intéresse peu à la politique, peut-être dégoutée par toutes les intrigues auxquelles elle a dû participer bon gré mal gré à Rome. Mais, cultivée – elle connaît le latin et le grec – elle soutient les artistes conformément à la tradition aristocratique de son époque.
À sa mort, sa réputation est en grande partie rétablie, mais c’est compter sans Victor Hugo. Sa pièce éponyme montre une Lucrèce Borgia aussi belle que cruelle, incestueuse et meurtrière sans remords. C’est fini, c’est cette image qui passera à la postérité.
Voici un des fameux « portraits du Fayoum », ces portraits funéraires réalisés en Égypte entre le 1er et le 4e siècle de notre ère par des artistes anonymes. Beaucoup furent découverts dans la région du Fayoum, au centre du pays, mais on en a retrouvé partout en Égypte.
Ces portraits étaient posés sur les bustes des momies des défunts qu’ils représentaient (d’où leur forme). Leur réalisme est le résultat des influences helléniques et romaines très prégnantes à cette époque à Alexandrie et dans les autres grandes cités du Nil. On devait pouvoir identifier le défunt, son sexe, son âge… En revanche, l’appartenance ethnique ne semble pas avoir été un enjeu. Que la jeune morte que je vous montre ait été longtemps surnommée “l’Européenne” en dit plus sur les attentes des archéologues qui l’ont découverte que sur son origine. Dans tous les cas, celle-ci est toujours beaucoup moins marquée que le statut social de la momie.
Ici, la jeune femme “au teint de roses” porte de riches vêtements jaunes et rouges ainsi que des bijoux de prix : une épingle à cheveux en or, des boucles d’oreille avec des perles, une broche avec une grosse émeraude, la pierre la plus recherchée de l’époque. De plus, une feuille d’or, symbole d’immortalité, recouvre son cou. Quelle que soit l’origine de sa famille, elle était donc très riche et soucieuse de le montrer, même dans l’Au-delà.
Quelques pages du magnifique livre d’heures réalisé pour Isabelle de Lalaing, veuve du seigneur de Boussu, par le Maître d’Antoine Rolin, un enlumineur du Hainaut, entre 1490 et 1495.
Grand comme la main, le livre fait plus de 400 feuillets, tous illustrés. Je vous invite à aller feuilleter cette merveille sur Gallica BnF
Et pour tous savoir sur elle, allez cette semaine sur la page Facebook de la BnF – Bibliothèque nationale de France où on vous raconte son histoire en un conte de sept épisodes.
Fra Angelico, un des plus grands peintres du Quattrocento mort à Rome le 18 février 1455, a réalisé les trois séries de panneaux que je vous montre ci-dessous.
Représentant des scènes de la vie du Christ, elles forment une curieuse bande dessinée archaïque. Chaque « case » qui fait à peu près la taille d’un vinyle, est encadrée par deux « cartouches » qui l’explicitent. Celui du bas contient une sentence évangélique et celui du haut un texte de l’Ancien Testament.
À l’origine, ces panneaux ornaient l’armoire recevant les offrandes précieuses destinées à la fresque « miraculeuse » de l’Annonciation de l’église de la Santissima Annunziata de Florence. Ils ont été peints vers 1450-1452 et sont aujourd’hui conservés au Musée de San Marco de la ville.
Le 4 février, les catholiques fêtent sainte Véronique. C’est le prétexte que j’attendais pour vous montrer le Diptyque de saint Jean-Baptiste et sainte Véronique d’Hans Memling (1480-1483).
Comme le David et Goliath que je vous ai présenté il y a quelques jours, on peut le regarder recto-verso mais l’effet recherché est très différent, ainsi que vous pouvez le voir ci-dessous.
Au recto, on a à gauche saint Jean-Baptiste accompagné d’un agneau. Selon la tradition chrétienne, Jean a baptisé le Christ dans le fleuve Jourdain après avoir reconnu en lui « l’agneau de Dieu ».
Il est accompagné, à droite, de Véronique. Toujours selon la tradition, c’est une habitante de Jérusalem qui eut pitié du Christ alors qu’il portait sa croix vers le Golgotha. Elle lui donna un tissu pour qu’il s’essuie le front. Son image resta ensuite gravée sur le linge, comme elle nous le montre.
Au verso, on a des images beaucoup plus glaçantes. Derrière Jean-Baptiste, on a une tête de mort avec l’inscription « morieris », « tu vas mourir » en latin, histoire de bien rappeler ce qui attend tout être humain, même s’il est assez riche et puissant pour se faire faire de telles œuvres d’art. L’image est si inquiétante qu’elle fut recouverte d’une couche de peinture au XIXe siècle et ne fut redécouverte qu’en 1980 à l’occasion d’une restauration.
Derrière Véronique, on a un calice avec un serpent, une référence à un autre saint Jean : l’Evangéliste. Selon une source apocryphe, le saint avait été contraint de boire une coupe empoisonnée après avoir refusé de sacrifier aux dieux de Rome. Mais il bénit la coupe et une serpent en sortit, entraînant le poison avec lui.
Peinture destinée à la couverture du numéro du 6 mars 1954 du Saturday Evening Post par Norman Rockwell (3 février 1894 – 8 novembre 1978), conservée au Musée Rockwell (Stockbridge, Massachusetts).
Pour ceux qui se poseraient la question, l’actrice à qui la petite fille se compare avec une certaine inquiétude est Jane Russell qui a tourné l’année précédente « Les hommes préfèrent les blondes » avec Marilyn Monroe. Elle est alors au sommet de sa carrière et passe pour un modèle de sensualité épanoui.
Quel est l’art le plus grand et le meilleur ? La peinture ou la sculpture ? C’est pour participer à cet épineux débat qui faisait rage en 1555 en Italie, que Daniele da Volterra, un proche de Michel Ange, réalisa cet étonnant tableau.
Car, oui, il s’agit d’un seul tableau vu recto verso ! Son auteur voulait qu’on puisse en faire le tour comme pour une statue et voir la scène sous différents angles. Vous pouvez d’ailleurs le faire au Louvre où il est exposé.
Je vous laisse apprécier si c’est réussi ou non.
Volterra y montre une scène de l’Ancien Testament : le duel entre le jeune David, champion d’Israël, et son ennemi philistin, le terrible géant Goliath. David l’a abattu avec sa fronde d’une pierre en plein front. Il lui a volé son cimeterre et s’apprête à l’achever.
Malgré son originalité, ce n’est pas ce tableau qui rendit célèbre Volterra. En 1564, c’est lui qui fut chargé de peindre des pagnes sur les nus de la chapelle Sixtine, jugés obscènes par le pape Pie IV. Pour tous et pour longtemps, Volterra devint alors « le peintre des culottes ».
Je viens de découvrir l’outil de travail d’un des plus vieux ancêtres de mes amis peintres et coloristes : cette émouvante palette en ivoire égyptienne date de 1390–1352 environ avant notre ère. Le cartouche porte le nom royal d’Amenhotep III, «Nebmaâtrê Mérienrê », c’est à dire « Rê est le possesseur [Maître] de la justice, Aimé de Rê ».
John Singer Sargent (12 janvier 1856 – 14 avril 1925) dans son atelier avec le portrait de Madame X, à Paris en 1884, photographie attribuée à Adolphe Giraudon.
Sargent mit un an à peintre le portrait de Virginie Gautreau, une mondaine parisienne, appelé ensuite « Madame X ». S’il est aujourd’hui considéré comme l’un de ses meilleurs tableau, il suscita un grand scandale à l’époque. Le décolleté, accentué dans la première version par une bretelle tombante fut jugé d’une sensualité bien trop provocante, voire malsaine.
Les critiques se déchaînèrent après sa présentation au Salon de 1884 au point que les commandes se tarirent et que Sargent pensa arrêter la peinture pour la musique ou même les affaires. Finalement, il n’en fit rien mais quitta tout de même Paris pour Londres. Là, il laissa le tableau bien en vue dans son atelier mais ne le vendit au The Metropolitan Museum of Art, New York seulement en 1916, après la mort de son modèle. Il y est toujours.